Cinéma – Nanni Moretti : Santiago, Italia (2019)

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Chili, septembre 1973. Salvador Allende, Président de gauche élu en 1970 est renversé par une junte militaire conduite par trois officiers de haut rang, dont Augusto Pinochet qui restera au pouvoir jusqu’en 1990 (ajoutons que ce coup d’Etat a été fortement aidé par les Etats-Unis qui souhaitaient préserver leurs intérêts économiques dans le pays). S’ensuit alors une période de terreur, les militaires emprisonnant, torturant et exécutant systématiquement les opposants, ceux du M.I.R. (Movimiento de Izquierda Revolucionaria), puis les Communistes et les Socialistes. Dans la panique générale, un certain nombre de ces opposants sont accueillis par certaines Ambassades, dont celle d’Italie, qui sera la dernière à fermer ses portes (1).

Nanni Moretti est allé à la rencontre de certains de ces réfugiés qui vivent maintenant encore pour la plupart en Italie. Et il écoute et nous transmet leurs récits, sans presque s’interposer, livrant leur parole plus de quarante ans après ; ils nous disent le formidable espoir apporté par l’élection d’Allende, la peur et le désarroi après le coup d’Etat, leurs séjours en prison pour certains et leurs péripéties pour rejoindre l’Ambassade d’Italie. L’émotion continue à les gagner encore aujourd’hui, qui en racontant le sauvetage de sa fille, qui en évoquant la figure du Cardinal Raúl Silva Henríquez, qui s’est opposé par toutes les formes possibles à la dictature (cela ne vaut même pas une majuscule 🙂 ). Mais ce que cherche le cinéaste ici n’est pas ce récit à plat que j’ai eu l’impression de voir pendant la première partie du film ; car des documentaires sur Pinochet, nous en avons vu de vraiment intéressants dans les années passées.

Il nous parle en fait de « migrants », de « réfugiés », qui ont fui leur pays sous l’oppression d’un régime inhumain dans lequel ils risquaient de perdre leur vie. Et soudain tout fait sens, nous sommes dans un film politique qui met en perspective cette barbarie lointaine dans le temps avec ce que nous sommes en train de vivre et dont le cinéaste est à l’épicentre, avec l’afflux de réfugiés en Italie. Ce qu’il interroge ici, c’est notre capacité à nous inscrire dans une histoire faite d’humanité ; parions qu’avec le recul, tout le monde lèverait la main pour accueillir ces persécutés chiliens, qu’en est-il des nouveaux qui se présentent à nos portes, mis au ban de régimes aussi reluisants que ceux de la Syrie, du Soudan ou du Pakistan ?

J’ajouterai un deuxième point abordé via ce film et qui me semble très important, l’impunité des tortionnaires. Augusto Pinochet, poursuivi à partir de 1999, va grâce à des finasseries juridiques et à son état de santé chancelant, s’en sortir sans aucune peine et mourir tranquillement en 2006. Si la France a mené un procès mémorable contre 14 tortionnaires en 2010, au motif qu’ils s’en étaient pris à des Français, combien d’assassins courent encore ? Et nous le voyons bien dans ce documentaire, où deux militaires témoignent en sérénité et déclinent toute responsabilité sur les actes commis. C’est édifiant et assez désespérant.

Merci Monsieur Moretti pour ce film, simple et direct.

FB

(1) Notons que les Ambassades de Chine, des U.S.A. (assez normal) et du Royaume-Uni sont restées à l’écart. L’Ambassade de France a, au contraire, recueilli nombre de réfugiés, obtenant des crédits supplémentaires de la part de l’Etat français pour les loger et les nourrir (dont une donation personnelle de Michel Jobert, Ministres des Affaires Etrangères à l’époque).