France, XVIIIe siècle. Madame de La Pommeraye, jeune veuve (Cécile De France) se laisse séduire par le Marquis des Arcis (Edouard Baer), libertin notoire, au terme d’un long siège amoureux. Elle va croire à cet amour partagé et au fait que le Marquis a changé pour ne plus s’intéresser qu’à une seule femme. Las, après quelque temps, le couple se défait sous le coup des absences de plus en plus fréquentes du Marquis. Après une rupture à l’amiable, en surface, Madame va se venger du volage Marquis, avec une subtilité glaçante, instrumentalisant pour cela Mademoiselle de Joncquières (Alice Isaaz), une jeune fille d’une grande beauté.
Comment ne pas penser au célèbre et sulfureux roman « Les liaisons dangereuses » écrit en 1782 par Pierre Choderlos de Laclos ? L’inspiration vient de Denis Diderot, certes, mais nous reconnaissons un peu de Madame de Merteuil en Madame de la Pommeraye (veuves toutes les deux, notons le), du Vicomte de Valmont en son homologue masculin, et Mademoiselle de Joncquières ferait une parfaite Cécile de Volanges. C’est un hommage auquel nous sommes conviés ici. L’histoire est un parallèle imparfait, moins noir, du roman libertin. La langue est étudiée : mots d’esprit, tournures spirituelles et vocabulaire choisi traversent les dialogues, réussis, du film ; c’est d’ailleurs un grand bonheur de retrouver ce beau langage, précis et subtil, à notre époque où les émojis font florès 🙂 . Sur le plan des costumes et décors, nous sentons une recherche de perfection, tellement nous sentons le metteur en scène soucieux de mettre en place un écrin de textures et couleurs qui corresponde à l’ambiance du récit. Cécile de France, toute de pastels vêtue, évoluant au début de l’histoire, quand elle est en plein amour, au milieu de fleurs aux couleurs à l’unisson (elle est absolument ravissante), finira par ajouter peu à peu des signes noirs à sa tenue, gants, voilette, qui tranchent sur l’éclat de ses robes, comme pour porter un deuil qui ne se dit pas. Nous pouvons d’ailleurs nous demander de qui elle porte ce deuil : du Marquis ? Ou d’elle-même ? (« Je suis déjà morte », dit-elle à un moment).
De pétillant et léger, le film bascule peu à peu dans la gravité, insensiblement, par petites touches. A l’instar de l’héroïne et de son cheminement intérieur.
Emmanuel Mouret est le cinéaste de la délicatesse des sentiments. Il s’écarte ici de ses terrains habituels en apparence, avec ce film historique ; mais à y réfléchir, il reste dans son domaine de prédilection qui est de décrire ces amours contrariées dans un siècle qui nous a donné tant de textes subtils en la matière.
Cécile de France est remarquable dans ce rôle. Toute en frémissements, elle fait évoluer son personnage avec beaucoup de finesse. Solaire et présente, elle domine l’interprétation, notamment dans le naturel confondant avec lequel elle dit ce texte parfois précieux. Si Edouard Baer, Alice Isaaz et Natalia Dontcheva sont bien, elle les éclipse tout au long du film.
Un régal
Vous citez Laclos à raison, en moins revêche sans doute. On pourrait aussi y associer la Lady Susan de Jane Austen qui, à la même époque, intriguait à défendre ses intérêts. Un régal d’interprétation en effet, qui s’ajoute au talent dont Monsieur Mouret sait faire montre pour montrer les si belles nuances de notre langue française.
Vous avez parfaitement raison, Lady Susan est un très bon exemple, un peu à part dans la littérature de Jane Austen qui ne contient pas de personnage manipulateur. Merci pour cette remarque avisée !