Commençons par le commencement. Un « Requiem » est une messe des morts en latin, qui fait partie de la liturgie catholique et dont le nom vient du premier mot de son introduction (Requiem aeternam dona eis Domine : Seigneur donne leur le repos éternel). C’est une forme fixe, qui comprend les mêmes séquences, autour d’un thème, la mort, les ténèbres qui rodent, le Jugement Dernier qui ne fera pas de quartier, vallées de larmes et souffrance ; voilà ce qui attend les récents décédés, s’ils ne font pas preuve de leur pureté. C’est un texte extrême, où se côtoient le blanc et le noir, le bien et le mal. Il a été souvent mis en musique depuis le XVe siècle, nous connaissons surtout certaines versions, celle de Wolfgang Amadeus Mozart (1791) et également celle de Gabriel Fauré (1877/1899). Mais bien des compositeurs se sont emparés de l’oeuvre depuis le Moyen-Age, souvent pour rendre hommage à un défunt récent. Ici Verdi célèbre Alessandro Manzoni, un poète engagé comme lui dans le mouvement du Risorgimento (Mouvement d’unification italienne) et décédé en 1873.
Moi qui adore les opéras de Verdi, je dois dire que cette pièce me tient particulièrement à coeur, je la trouve aboutie et belle de bout en bout. Ce qui frappe ici, c’est qu’il s’agit ici d’une véritable mise en spectacle. Là où Mozart nous donnait une lecture très intimiste et désespérée de l’oeuvre (il l’a composée sur son lit de mort) et où Gabriel Fauré en faisait quelque chose d’encore plus recueilli, Verdi insiste sur la majesté de l’opus, sur son caractère transcendant et immanent. Dieu est vraiment là, comme une puissance devant laquelle tout le monde s’incline, le prier et l’implorer ne semble mener qu’à une impasse, il est inflexible, regardant le monde s’agiter vainement devant lui. Mozart et Fauré introduisaient quelque chose dans leur interprétation du texte de l’ordre du salut et de la commisération ; ici c’est le bruit et la fureur qui l’emportent. Porté par un orchestre à la formation large (environ 50 instruments à corde et 25 instruments à vent, plus des percussions et des cuivres) et un choeur imposant (100 personnes), ce Requiem se veut hiératique.
Verdi fait ici de nouveau preuve de sa capacité à construire des mélodies, il soigne particulièrement les voix (une basse, un ténor, une soprano et une mezzo-soprano), auxquelles il offre de superbes morceaux de bravoure ; il faut d’ailleurs des artistes hors pair pour arriver à se faire entendre pendant que le choeur chante. Nous sommes parfois très proche des airs d’opéra qu’il a l’habitude de composer (l’Offertoire, par exemple, me semble proche de Rigoletto), mais nous le sentons saisi par l’envie de se dépasser pour restituer tout le Sacré qui est présent dans cette oeuvre.
Certains trouveront que ce Requiem est pompier, pas moi. Je le trouve habité d’une foi fiévreuse et inquiète ; à rapprocher sûrement de l’évolution sociétale de ce XIXe siècle, qui s’ouvre à une économie moderne, à des idées politiques différentes, bouleversements auxquels l’Homme s’affronte dans l’anxiété. Mais cela n’est qu’une hypothèse personnelle.
Ce que j’ai vu à la Philarmonie de Paris la semaine dernière était vraiment à la hauteur. L’orchestre, dirigé par Enrique Mazzola, a donné toute son ampleur pour restituer les nuances de l’oeuvre. Les chanteurs étaient d’excellent niveau, Karine Babajanyan (soprano), Sanja Radisic (mezzo), Alexey Tatarintsev (ténor) et Nikolay Didenko (basse), le choeur était somptueux, et tous nous ont offert un très beau spectacle, qui m’a donné envie d’écrire ces quelques lignes.
Je vous donne ici un moment de cette oeuvre, le Lacrymosa, enregistré en 2013 au Théâtre de La Scala de Milan, sous la direction de Daniel Bareboïm, avec comme voix (excusez du peu), Elina Garanca, Anja Harteros, Jonas Kaufmann et René Pape, dans une interprétation hors pair. Bonne écoute !
FB