Que voilà un film original et réussi ! Complexe, original et féroce, il n’a pas volé sa Palme d’or à Cannes. Situé en Suède, pays d’Europe réputé pour son système social équilibré, il nous fait suivre Christian, conservateur du Musée d’art contemporain de Stockholm, sur le point d’inaugurer une exposition autour de l’œuvre « The Square ». Il s’agit d’un carré délimité sur le sol par un chemin lumineux et qui se définit ainsi : « The Square est un sanctuaire où règnent confiance et altruisme. En son sein nous sommes tous égaux en droits et en devoirs ».
Le films est tout d’abord une charge contre un certain type d’art contemporain qui dissimule son vide intérieur dans de larges phraséologies insignifiantes. Qui confond fond et forme, habillant d’un marketing prêt à tout des œuvres tellement banales. Dans ce film, j’ai adoré les dialogues sur l’Art, caricature de ce discours extrêmement ampoulé et creux à la fois ; je recommande notamment l’intervention de la boîte de créa/com pour mettre en scène la promotion autour de « The Square » et les dialogues associés, irrésistibles. Au-delà de la plaisanterie, soulignons la gravité du propos, qui rejoint ce que je pense depuis longtemps, car il s’agit presque d’une prise en otage culturelle de la population par des instances ayant pignon sur rue (et avec l’argent public en plus !). Se posant en surplomb, forts de leur soi-disant connaissance du sujet, certains acteurs culturels, sous des dehors de partage de l’art contemporain, ne font rien d’autre en fait qu’éloigner le visiteur potentiel raisonnable/subjuguer le visiteur mouton, au prétexte de partager leur savoir mystérieux au travers d’expositions absconses. C’est cela qui est raillé ici avec une subtilité irrésistible (1). Je citerai une ou deux scènes particulièrement représentatives du sujet. Celle où les visiteurs ont attendu patiemment l’allocution du conservateur du Musée, n’ayant en tête qu’une seule chose, se ruer sur le buffet. Ou encore celle où une gardienne, voyant des touristes s’égarer vers le Musée, les guide d’office vers un autre monument, illustrant ainsi la réalité de ce milieu de l’Art contemporain, qui se retrouve de fait tourné vers lui-même, élitiste au point que la réaction instinctive de la gardienne est d’orienter des touristes lambda ailleurs… Je n’avais jamais vu cette question qui m’interpelle depuis longtemps, celle de l’accès du public à la culture, si bien traitée depuis très longtemps.
Au-delà de cette première apparence, c’est aussi un film qui essaye de nous dire quelque chose de la société contemporaine, des fractures qui peuvent exister et ne sont pas révélées par les statistiques globales. Car la description de ce monde policé et élitiste, qui se veut raffiné et au-dessus des contingences permet au cinéaste de mieux faire ressortir la violence sociale ou individuelle, au travers des SDF qui ponctuent le film et également dans cette scène hallucinante où le sujet d’une œuvre d’art, un Russe, faire surgir la sauvagerie en plein dîner de gala.
Oeuvre en forme de charge contre les idées reçues, qui montre que l’ouverture au monde n’est peut-être pas où on l’attendrait, c’est une formidable bouffée d’air frais, incisive et très drôle par moment.
Ne négligeons pas la forme, avec un travail sur les images et surtout les sons, qui font encore plus ressortir cette idée de monde clos sur lui-même; nous retrouvons ici ce qui faisait la force de « Snow therapy » (2014), l’opus précédent du cinéaste.
A recommander absolument
FB
- J’aime beaucoup certaines choses dans l’Art contemporain, mais il faut que les artistes aient quelque chose à dire…