Paul Thomas Anderson, que nous avions découvert en 1999 avec son premier long métrage, « Magnolia », longue fresque chorale ayant pour toile de fond la Californie, nous livre ici son neuvième opus, si l’on excepte les courts métrages. Dans son parcours cinématographique, nous sommes frappés par le nombre d’oeuvres remarquables qui le jalonnent, comme « Boogie nights » (1997), « Punch drunk love » (2001) ou encore l’extraordinaire « There will be blood » (2007), dans lequel il avait déjà collaboré avec Daniel Day Lewis.
C’est en général un cinéma qui prend son temps (peu de films font moins de deux heures), ce qui donne au metteur en scène la possibilité de mettre en place des histoires complexes et souvent originales, sans précipitation.
Reynolds Woodcock est un couturier de renom à Londres, dans les années cinquante. Aidé de sa soeur Cyril, avec laquelle il habite une grande maison qui lui sert de logis et d’atelier, il habille les grandes de ce monde. Il rencontre la jeune Alma pour laquelle il a un « coup de foudre » (je met l’expression entre guillemets car la réalité est complexe) et qu’il emmène vivre sous son toit. Elle devient son inspiratrice, son mannequin préféré et entame avec lui une relation bizarre et inclassable.
Je me suis un moment demandé ce que signifiait le titre du film, « Phantom thread », littéralement « le fil fantôme » et j’ai trouvé plusieurs acceptions possibles.
Cela peut désigner les petites broderies à message que le créateur insère dans la doublure des robes qu’il confectionne, pour protéger les femmes qui les portent (quelle belle idée !).
Mais, à un autre niveau, cela désigne sûrement aussi le lien qui relie le couturier à sa mère, dont il n’assume pas, même à son âge, la disparition et qu’il fait revivre en portant par exemple dans la doublure de son manteau une mèche de cheveux, ou en la faisant réapparaître dans ses rêves éveillés. Car cet homme n’est en fait qu’un enfant à la fois tout puissant et angoissé par la vie, qui a recréé avec sa soeur (elle-même sûrement dans une dynamique similaire, fusionnant son existence dans celle de son frère) une pseudo vie familiale presque enfantine. Il est l’enfant roi, la diva, à qui tout le monde passe tout, même ses caprices les plus inacceptables, au motif de son talent et de sa fragilité. Il s’est construit une existence à l’entourage uniquement féminin (le seul homme qui pénètrera dans son intérieur, en l’occurrence un médecin, se verra chasser d’un vigoureux « fuck off »).
Dans cet équilibre précaire et à la fois très consolidé par des années de rituel, Alma (1) qui est tombée en amour pour cet homme, va essayer de trouver sa place et d’éviter la « répudiation » (comme nous le montre une des premières scènes du film à propos d’une autre protagoniste, qu’elle a remplacé à son insu). Il va lui falloir s’opposer à ces logiques circulaires et fermées dans lesquelles toute irruption de nouveauté donne lieu à des affrontements à la fois agressifs et rationnels avec le créateur ; nous sommes parfois en limite de perversion dans les mécanismes de défense qu’il met en place.
Et puis, et puis, sans compromission mais avec nombre de compromis, cette femme va finir par trouver un mode de fonctionnement totalement hors norme avec le personnage… Cela durera t-il ? Allez voir le film et vous verrez !
C’est une oeuvre passionnante, foisonnante, portée par un environnement en harmonie.
Musique, lumière et décors nous enveloppent dans une atmosphère voluptueuse et nostalgique, faisant écho aux robes superbes conçues par le couturier et qui enveloppent le corps des femmes.
Les trois acteurs sont vraiment impressionnants. Saluons particulièrement la prestation de Daniel Day Lewis, comme toujours hors norme, sans qui, je pense, le film n’aurait pu avoir cette résonance.
Je ne peux que recommander.
FB
(1) Notons que l’expression « Alma Mater » désigne dans la Rome Antique la mère nourricière. Hasard ou coïncidence ? Je ne crois pas… 🙂
Avant tout je préfère dire que je n’ai pas vu le film . J’avais détesté au plus haut degré : Magnolia et there will be blood . À propos du titre ne peut on y voir un jeu de mot ? Sur l’homophonie approximative entre thread et threat ?