Missouri, dans la petite ville d’Ebbing, Mildred Hayes, dont la fille a été assassinée sept mois auparavant, décide de louer trois grands panneaux le long d’une route nationale à l’entrée de la ville, où elle va interpeller la police, trop inactive à son goût… S’ensuivra un enchaînement de situations à la fois violentes et cocasses, comme si elle avait ouvert la boîte de Pandore (1).
Voilà un film de grande ampleur, assez inclassable, et j’ai longtemps réfléchi aux racines que je pouvais lui trouver. Bien sûr, l’interprète du rôle principal, Frances Mc Dormand (absolument excellente, si elle ne remporte pas l’Oscar, je ne comprendrai pas) et la tonalité de l’oeuvre nous ramène immédiatement aux Frères Coen. Il ne faut pas s’arrêter à cette première impression, trop évidente, car si nous réfléchissons un peu, et allons jeter un oeil sur la filmographie du cinéaste (« Bons baisers de Bruges » en 2008 et « L’Irlandais » en 2011, par exemple), nous voyons bien l’influence anglaise (nationalité du metteur en scène) dans ce film « américain ». C’est de cette hybridation qu’il tire toute sa richesse et son originalité, laissant maintes impressions de « déjà vu » et en même temps tout à fait à part.
Il emprunte aux Frères Coen ce côté grinçant si particulier, sans prendre chez eux l’aspect absurde qui caractérise également leur oeuvre ; ce qui permet à la violence d’être vraiment frontale (violence psychologique plus que violence physique ; je peux vous certifier que cette dernière est tout à fait regardable, moi qui ai passé la moitié de mon temps sous le siège pour « Drive« , par exemple…) et à l’humanité de se déployer sans filtre. Car c’est là la magie du film, qui opérait déjà dans « Bons baisers de Bruges », alterner en forme de montagnes russes parfois, la plus grande dureté verbale (certaines répliques de l’héroïne principale sont vraiment déstabilisantes) avec des gestes de tendresse ou d’altruisme qui prennent d’autant plus de relief ; à l’instar de ce que le cinéaste avait déjà laissé voir au travers des échanges entre Colin Farrell et Brendan Gleeson, dans le film cité ci-dessus.
Et plus bouleversant encore, au milieu de cette histoire extrêmement bien menée, de laquelle nous ne pouvons deviner l’issue, tellement la narration est emplie de suspense et d’ouverture, nous assistons à la lente modification d’un personnage, porté par l’excellent Sam Rockwell, un acteur, un vrai (vu dans « Moon » de Duncan Jones en 2010). Il se métamorphose au gré du film, révélant une personnalité bien plus complexe que celle que nous avions perçue au début.
Baigné dans l’atmosphère du sud des Etats-Unis, cet univers à part où il est encore d’actualité de se moquer de manière très raciste – voire plus- des « Noirs » ou des « Pédés », le film trimballe en lui ces relents d’univers presque non civilisés en retrait du monde (si bien captées par exemple dans « The pledge » de Sean Penn en 2001), presque laissés pour compte, où la violence peut surgir à n’importe quel moment (le film m’a fait penser à « Hot spot » de Dennis Hopper, sorti en 1990, pour le côté poisseux qui s’en dégage).
C’est vraiment une oeuvre à voir, portant en elle des références multiples et vraiment réussie ; elle sera à coup sûr dans mon hit-parade 2018.
FB
(1) Petit rappel sur cette légende : Pandore est une femme créée par les Dieux grecs à la demande de Zeus, parée de toutes les qualités et promise comme épouse à Epiméthée, le frère de Prométhée (celui qui a volé le feu aux Dieux et a été condamné à être enchaîné à une montagne où chaque jour un aigle vient dévorer son foie, à perpétuité), avec comme cadeau de mariage une boîte qu’elle ne doit jamais ouvrir. Cédant à la curiosité, elle passe outre cet avertissement et tous les maux de l’humanité, Famine, Cruauté, Guerre, Folie, et autres se répandent alors sur terre.
C’était la minute culturelle de « Rue2Provence » !

Dante Gabriel Rossetti – Pandora, 1869
J’ai bien aimé ce film (même si je lui ai préféré Bons baisers de Bruges) mais j’ai été gêné par ses personnages principaux qui prônent la loi du talion pour obtenir justice sans que rien ne vienne contrebalancer leurs discours. De même (et en dépit des grandes qualités d’acteur de Sam Rockwell découvert dans l’hilarant Galaxy Quest), je ne suis pas parvenu à croire au brusque revirement de l’adjoint du shérif après la simple lecture d’une lettre, fusse-t-elle posthume.
Quant à l’Oscar, Frances Mc Dormand a une rude concurrente avec Meryl Steep, impériale dans Pentagone Papers. 🙂
J’avais adoré Bons baisers de Bruges, sur le reste je ne te suis pas : ce n’est pas une apologie de la loi du talion pour moi (pas plus que BBB n’était une apologie des tueurs), nous sommes dans un monde dur où tout le monde fait usage de violence ; et l’héroïne principale, avant d’aller plus loin, cherche à passer par le circuit officiel, notamment en interpellant la Police par ces fameux panneaux.
Et puis pour l’Oscar, je pense qu’ici Frances Mc Dormand livre une prestation plus impressionnante que Meryl Streep (que j’adore aussi mais que j’ai vu plus impressionnante dans d’autres films, comme « The hours » ou même, une comédie pas très intéressante au demeurant mais où elle était impériale « Le diable s’habille en Prada », pour ne parler que des plus récents).
Effectivement, elle cherche à passer par le circuit officiel et puis décide d’aller plus loin. Donc d’en passer par la loi du talion (même si pour se couvrir le réalisateur lui fait dire qu’elle se laisse le temps de la réflexion…). Je ne te suis donc pas sur l’excuse de dire que nous sommes dans un monde dur donc c’est pour cela qu’elle réagit ainsi.
Je n’ai jamais pensé que Bons Baisers de Bruges était une apologie des tueurs, c’est même plutôt le contraire. Dans 3 billboards, je trouve le propos beaucoup plus ambigu. 🙂