Cinémas – Léonor SERRAILLE : Jeune femme (2017)

jeune femme

Voilà un film un peu étrange, qui a reçu à Cannes cette année la Caméra d’or, réalisé par une cinéaste française dont c’est le premier long métrage.

Le sujet est centré sur Paula, la « jeune femme » du titre, plaquée au début du film par l’homme avec lequel elle a vécu depuis des années, Joachim, et qui se retrouve à la rue dans Paris. Nous allons suivre son errance dans la capitale (qui n’est pas sans rappeler celle de Vernon Subutex (1)), à la recherche d’un logement, d’un travail, de chaleur humaine…

C’est un film apparemment sans trame, sauf celle du cheminement personnel de l’héroïne, le voyage initiatique d’une jeune femme un peu perdue qui a coupé les ponts avec sa vie dix ans auparavant et doit se reconstruire pour échapper au néant qui la guette. C’est à ce titre une antienne du cinéma français et même du cinéma d’auteur à une échelle plus globale. Et c’est vraiment un motif « casse-gueule », car l’absence de spectaculaire peut conduire à la vacuité et à l’ennui.

Et pourtant, et pourtant, lorsque l’inspiration est là, cela nous donne des oeuvres magnifiques ; je citerai, extraits de ma filmographie personnelle, « Didine » (Vincent Dietschy, 2006), où Géraldine Pailhas crève l’écran en femme délicate et paumée, ou, plus ancien « J’ai horreur de l’amour » (1997, Laurence Ferreira-Barbosa), dans lequel Jeanne Balibar incarne une femme médecin célibataire essayant de sortir de sa solitude. Encore plus proche comme référence, d’après moi, « Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel » (1993, Laurence Ferreira-Barbosa), qui appuie encore davantage sur le côté fragile de l’héroïne, en l’occurrence Valeria Bruni-Tedeschi.

Dès le début, Paula part en vrille (superbe scène d’ouverture, quelle actrice !) ; après avoir essayé de défoncer à coup de tête la porte close de l’appartement où vit Joachim, nous la découvrons aux urgences, dans un dialogue loufoque avec l’interne de garde, qui ne sait plus quoi dire. Et c’est cela que nous allons voir pendant tout le film, une fille décalée, perdue, qui ne rentre plus dans les critères finalement assez corsetés que nous nous sommes donnés (dans une société empreinte de liberté, cela interroge (2)). Ce n’est ni une psychopathe, ni une meurtrière/suicidaire en puissance, seulement une personnalité qui s’exprime un peu différemment et du coup ne rentre plus dans les cases que nous connaissons. C’est à ce titre que ce film est vraiment intéressant, car il nous bouscule dans nos schémas sociaux de manière assez forte.

Porté par une actrice incandescente, Laetitia Dosch, qui imprime à chaque scène une grande originalité, par sa présence et les dialogues qui lui son prêtés, il installe une figure féminine dont nous nous souviendrons.

Faisons mention des seconds rôles, impeccables, où nous revoyons avec grand plaisir Nathalie Richard et où nous découvrons hors de la salle Richelieu Léonie Simaga de la Comédie Française.

A voir si vous aimez le genre (moi j’adore !).

FB

(1) Roman de Virginie Despentes, 2015.
(2) Tout à l’heure, j’attendais le bus à Paris, et une femme l’attendait également en sifflait la chanson « Parole, parole » de Dalida et en se déhanchant légèrement. Et bien ce fait anodin suffit à faire un accroc dans les convenances sociales… Tout le monde soit la regardait, soit essayait d’éviter de la regarder, ce qui revient finalement au même.