Cinémas – Ildiko ENYEDI : Corps et âme (2017)

corps et ame

Dans un abattoir, en Hongrie, à l’occasion d’une enquête autour d’un détournement de substances illicites, Endre, le directeur va se rendre compte que Maria, nouvellement embauchée comme responsable qualité, fait exactement les mêmes rêves nocturnes que lui, un cerf (lui) et une biche (elle) qui se retrouvent dans une forêt neigeuse.

C’est un conte de fées à la mode réaliste qui nous est proposé ici, plutôt tendance Frères Grimm que Walt Disney ; une histoire improbable entre deux « handicapés » de la vie.

Le handicap d’Endre se voit tout de suite, avec son bras « mort » ; mais il porte en lui d’autres difficultés également, il apparaît comme un homme d’âge mur en retrait du monde, taiseux, et qui ne laisse plus les femmes l’approcher.

Maria s’avère en proie à des incapacités intérieures moins évidentes au premier abord, mais tout aussi abyssales que nous découvrirons au fur et à mesure.

C’est un film qui installe des liens visibles, et d’autres beaucoup moins, entre les différents événements ou plans qui le rythment. Le plus évident, qui se pose comme une passionnante énigme, sans explication au-delà de l’apparence, est le contrepoint fait au quotidien de ces bêtes apprivoisées conduites à la mort, dont nous suivons avec un certain réalisme (parfois brutal) l’agonie et le dépeçage, avec ces images oniriques (et magnifiquement filmées de ces deux animaux sauvages perdus dans les forêts enneigées (1). Egalement, la similitude, déjà évoquée, des deux personnages principaux. Enfin, au sang des bêtes tuées répondra le sang de l’héroïne, même rouge visqueux se déversant sur le carrelage. Ce sont toutes ces subtiles correspondances qui font de ce film une oeuvre cohérente et étrange à la fois.

Les indices du conte de fées jalonnent les images tels les cailloux du Petit Poucet sur la route. Une bonne fée aux deux visages, celle du thérapeute et celle de la femme de ménage qui s’improvise marraine de Peau d’âne en termes de relooking. Une histoire où les élus, pris dans un aller-retour entre rêve et réalité, sont les héros passifs d’un fatum qui s’impose. Et enfin, l’héroïne elle-même, presque surnaturelle, joli et mince visage blond d’elfe ou de lutin, que le metteur en scène se plaît à éclairer d’une belle lumière et à vêtir de blanc ou de pastel jusqu’à l’étrangeté, en une apparence d’ange qui cache une petite fille traumatisée. Elle va peu à peu se réinventer une vie réelle et nous la verrons se métamorphoser sous nos yeux.

J’ai pensé ici fortement à un autre film que j’adore « La vie secrète des mots » (Isabel Coixet, 2005, avec Tim Robbins et Sarah Polley, absolument magnifique) pour cette capacité à raconter une rencontre improbable et à faire vivre un contexte très original à cette histoire.

Ce film, d’une cinéaste hongroise, Ours d’or à Berlin, un film à recommander, vraiment (sauf aux Vegans, voir note).

FB

(1) Je vous préviens, ce n’est pas un film vegan ; ceci dit, si nous remplacions ces postulats par le quotidien d’une ferme bio où l’on arrache les carottes et navets domestiques avec en contrepoint la danse d’amour de deux ananas sauvages, je ne suis pas sûre que le film aurait la même densité 🙂