Cinéma – Sofia COPPOLA : Les proies (2017)

les proies

Sofia Coppola, cinéaste américaine, met en scène depuis le début de sa carrière le même sujet, celui de cette période trouble qu’est l’adolescence ou le début de l’âge adulte pour les jeunes femmes qui la traversent. Ayant surgi tel un choc dans le paysage cinématographique avec son opus « Virgin suicides » (1999), dans lequel une fratrie (une sororité ?) de cinq soeurs aspiraient à se donner la mort, elle a continué à tracer le même sillon avec « Lost in translation » (2003), au travers des états d’âme d’une Américaine en transit au Japon (la magnifique Kirsten Dunst que nous retrouverons ici) et « Marie-Antoinette » (2006) où sous les costumes de la Reine de France pointe une adolescente délurée et pensive à la fois.

C’est donc dans une cohérence parfaite qu’elle s’empare de cette histoire, mise en scène par Don Siegel en 1971 (avec Clint Eastwood et Geraldine Page) pour en faire une relecture.

Notons tout d’abord l’ambigüité de la traduction française du titre : là où le titre initial « The beguiled » renvoyait à un homme passif et manipulé (1), la version française « Les proies », inverse le schéma, faisant de l’homme un prédateur. Ce qui n’est pas sans signification, car ici tout va se jouer sur la ligne ténue qui sépare les deux acceptions.

En 1864, dans le sud des Etats-Unis, en pleine Guerre de Sécession, John Mac Burney, soldat de l’Union blessé est recueilli par les pensionnaires d’une institution d’éducation de jeunes filles, tenue par Miss Martha.  Cet homme, appartenant à la faction adverse, va jeter le trouble dans cette communauté féminine, jusqu’à un holocauste final.

Cette histoire, si simple a priori, offre une vraie richesse d’interprétation, dans une complexité insoupçonnée au premier abord.

C’est une illustration de la fable du loup dans la bergerie : un soldat ennemi donc menaçant, mais beau et sexy qui fait irruption dans ce microcosme exclusivement féminin clos sur lui-même (et ce depuis des années, nous le percevons), qui va bouleverser tout l’équilibre de cet univers. Et c’est ici que la remarque que j’ai faite plus haut sur le titre prend toute sa résonance. Car nous sommes dans un jeu de séduction qui tire vers l’instinct bestial parfois, comme si cet homme et ces femmes, privés de jeu sexuel depuis si longtemps, se laissaient aller. Où est la victime, où est le prédateur ? On ne sait…

La cinéaste prend un parti subtil sur ce point, exacerbant la féminité de cette communauté (longues robes blanches, coiffures raffinées, intérieur chaleureux, fleurs et dentelles, tout cela souligné à maintes reprises par des lumières chaudes et tamisées – nous pourrions nous croire chez David Hamilton 😉 ) qui s’oppose à la virilité de l’homme intrus (soldat, beau gosse à la masculinité agressive). Longtemps réprimée, la sensualité des femmes les plus âgées explose face au séducteur ; c’est à qui prend des poses lascives, à qui se fait belle en ressortant un bijou longtemps oublié parce que sans usage, à qui cherche à se mettre en valeur par tous les moyens. Et Sofia Coppola excelle à nous faire ressentir toutes ces nuances de relations, ces modifications parfois imperceptibles de comportement devant Lui. Et elle parvient également à capter cette frontière ténue entre l’enfance et l’état de femme en nous montrant comment les plus jeunes tissent des liens de camaraderie sans arrière-pensée avec le soldat, là où celles qui n’ont que quelques années de plus basculent dans la séduction parfois brute.

Tout cela finira mal, bien sûr. Pulsions sexuelles et pulsions de mort ne sont jamais si loin, mariage d’Eros et de Thanatos, qui vont finir par emporter le récit vers une fin glaçante, digne d’une tragédie grecque.

Les actrices (et l’acteur, bien qu’en minorité 🙂 ) sont excellents.

A voir.

FB

(1) Beguiled signifie trompé ou séduit.