Grand, grand film. De ce cinéaste, j’avais vu en 2012 « Elena » (et loupé en 2014 « Léviathan« , shame on me !). C’était un magnifique opus, tout en lenteur et acuité à la fois.
Ici, nous sommes confrontés à une histoire familiale en crise. Alyosha est un jeune garçon d’une dizaine d’années qui se confronte au divorce de ses parents, tout en violence. Ses parents, Boris et Genia, sont en train de refaire leur vie chacun de leur côté, dans des histoires d’amour en forme de contes de fées égoïstes, et ne tiennent pas vraiment à s’embarrasser d’un enfant, d’autant plus qu’il est pour elle la cause de ce mariage raté (« Je ne voulais tellement pas de lui », dit-elle, et elle ne cesse de citer les douleurs de l’enfantement) et que lui ne s’en est jamais vraiment occupé. L’enfant comprend cela très vite, qu’il est de trop, dès les premières scènes du film, qui campent une dispute glaçante entre les futurs ex-époux. Il s’enfuit et disparaît… Vont alors commencer de longues recherches.
Dès l’ouverture du film, nous savons que nous sommes dans quelque chose de spécial ; une sorte de pesanteur hante ces longs plans fixes et ces travellings imperceptibles sur la nature d’hiver, qui semble enserrer l’homme dans son immuabilité, comme pour dire que nous allons assister à une histoire universelle. Comme une parabole sur notre monde moderne, où la quête de l’amour et de l’argent a remplacé les sentiments élémentaires, l’amour pour un enfant par exemple. Car nous sommes parmi des Russes aisés, de ceux qui ont un travail presque américain, qui conduisent de belles voitures, habitent de confortables appartements avec baies vitrées, peuvent s’occuper de leur forme physique et de leur apparence… En forme de clin d’oeil, ou peut-être avec une visée plus profonde, le cinéaste nous montre également la mère accrochée à son smartphone (ça vous rappelle quelques articles du site, non ? 😉 ). Issus de cette société russe qui a tellement souffert à la génération précédente, ils rattrapent le temps perdu et nous les découvrons obnubilés par leur bien-être.
Dans ce quatuor qui se fait et se défait (la femme, le mari et leurs deux nouveaux conjoints), l’enfant est de trop (la cinquième roue du carrosse…) jusqu’à ce qu’il s’évanouisse. Reparaît alors chez les deux époux une solidarité forcée et haineuse, associés qu’ils sont dans cette investigation dont ils se seraient bien passé, comme maints détails subtils viennent nous le rappeler.
C’est un film de hiatus, presque mathématique dans sa construction ; la nature glacée et immobile qui s’oppose aux sentiments éruptifs des protagonistes ; l’amour qui se confronte à la haine ; la féminité du père contre la dureté de la mère. De ces contrastes naît une profondeur qui nous saisit.
Film dur et limpide, il ne nous livrera aucune fin particulière, seulement une impression de mal-être qui est sûrement aussi celui des protagonistes.
Un film magnifique.
FB