Un grand jeune homme de 36 ans au regard un peu perdu, voilà Patrick De Witt, romancier canadien, dont c’est le premier opus.
« Mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années » (Pierre Corneille, Le Cid) et ce premier roman en est une preuve.
Dans l’Oregon du milieu du XIXe siècle, deux frères, Eli et Charlie Sisters, tueurs professionnels redoutés sont chargés par leur commanditaire de tuer un chercheur d’or en Californie. Au long de leur chemin, ils vont faire maintes rencontres, jusqu’à leur cible finale.
C’est donc un western auquel nous sommes conviés, mené par deux héros solitaires, très dissemblables bien que frères, que nous suivons dans leur périple au travers des Etats-Unis.
Ce qui est vraiment intéressant ici est le hiatus entre un format bien connu et notamment relayé par nombre de films, de héros solitaires et durs chevauchant de ville en ville sans état d’âme, prêts à tuer qui s’interpose sur leur chemin, indifférents à la violence, et des introspections ou notations tout à fait basiques, qui font comme irruption dans ce schéma classique : la découverte du brossage des dents, par exemple, les notations sur leur hygiène personnelle, des détails sur leur vie de « couple », qui restituent une sorte d’humanité bizarre, là où les films sur le même sujet ne laissaient aucune ouverture (sauf pour risquer un trait d’humour, car cela se doit d’être drôle en soi de voir un homme/machine retomber au statut d’homme/normal, avec des besoins classiques).
Nous saisissons d’autant mieux ces deux héros (ou anti-héros ?) dans leurs personnalités, leur interrogations sur le quotidien, leurs envies banales, le plus souvent, mais qui peuvent tendre à de la philosophie, comme par exemple lorsqu’ils s’interrogent pour savoir s’il est bien ou non de tuer le chercheur d’or.
Ajoutez à cela des dialogues ou des réflexions intérieures tellement basiques qu’elles font choir les super « flingueurs » de leur piédestal à tous les coups, nous déstabilisant par là-même dans nos certitudes.
Et tout cela crée un décalage, que nous mettons quelque temps à appréhender et qui se transforme en humour pince-sans-rire subtil et irrésistible.
Cela prouve encore une fois à mes yeux que mettre le lecteur (ou le spectateur) dans un espace qu’il croît connaître, parce qu’il a déjà vu mille fois ce type de situations, puis de faire imploser le système (ici très finement et progressivement) est un excellent moyen de remettre « les choses à zéro » pour capter son attention.
J’ai beaucoup apprécié ce livre original et plein de finesse.
FB
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