Cinéma – Robin CAMPILLO : 120 battements par minute (2017)

120 battements

Les années Sida, vous en souvenez-vous ? Elles recouvrent une période allant de 1983 à 1995, entre la réelle découverte de la maladie et l’invention de thérapies permettant de réduire notablement la mortalité ; entre temps ce sont près de 30 000 Français qui sont morts en douze ans… (gardons également en tête que le virus a tué 35 millions de personnes à ce jour dans le monde et qu’en 2016 c’est encore un million de personnes qui sont décédées).

Toute l’ambigüité de cette épidémie tient à ce qu’elle touche des populations bien particulières, homosexuels, prisonniers, toxicomanes, prostitué(e)s et qu’elle va donner lieu à des débats nauséabonds sur le pseudo « jugement de Dieu » qui punirait les « fautes » des personnes concernées. Quand la physiologie se teinte de morale douteuse…

Le film est une chronique de cette période, au travers du quotidien de l’Association « Act-Up » Paris, regroupant des militants en majorité séropositifs ou malades, qui mènent des actions coup de poing pour sensibiliser la population, les laboratoires ou l’Etat ; actions non violentes pour la plupart, qui visent à avoir une tribune d’expression pour faire entendre leur voix.

Dès la première scène, j’ai été précipitée la tête la première dans cet univers et le film ne m’a plus lâchée jusqu’au bout du long de ses deux heures et quart. Le sujet tendait des pièges à chaque détour de pellicule et de scénario et le cinéaste les évite tous. Celui du pathos, car rien de plus facile ici, d’autant plus que nous allons assister à la longue agonie de l’un des protagonistes et que la majorité d’entre eux sont en sursis. Celui du remords collectif de la société, qui n’a pas fait grand chose à l’époque (sûrement parce qu’elle se retrouvait impuissante). Celui du film politique sec et donneur de leçons. Et enfin, précisons-le juste pour l’écarter car ce ne serait pas rendre justice à la grande subtilité du film, celui du jugement moral.

Et pourtant cela nous parle de tout cela, de sentiments (amour, angoisse de la mort, perte, colère, tristesse et joie), de politique et d’engagement, de maladie et de mort, installant toutes ces dimensions comme autant de contrepoids les unes par rapport aux autres, ce qui l’empêche de tomber dans aucun des clichés que nous pouvions attendre ou redouter. C’est juste une histoire humaine qu’il nous conte là, un peu plus grave que d’autres, certes, touchant à l’ontologie, comme si nous étions conviés à voir la vie en elle-même ; une vie débarrassée de toutes les affèteries et coquetteries qui jalonnent les nôtres. Et toute l’énergie que les personnages mettent à faire les choses du quotidien devient palpable ; c’est ainsi que j’ai ressenti le titre, un coeur qui bat follement pour exister. Des actions politiques aux lâcher-prise sur les pistes de danse, des discussions animées autour d’Act-Up aux gestes d’amour fous, des contemplations de lever de soleil sur Paris aux derniers adieux d’un camarade mourant, tout est pulsation, comme si vivre à cent à l’heure préservait de la mort (comprenez moi bien, je ne parle pas ici de drogues dures – ils en prennent déjà assez…- ni d’alcool ni de comportements limites, juste une manière de dévorer la vie pour ces jeunes âgés de 20 à 30 ans au futur bien sombre).

La mise en scène, magnifique dans sa retenue, suit cette course à la mort (et à la vie) sans effet déplacé, avec un grand naturel comme si elle était tentée par la neutralité. Comme si le metteur en scène s’était effacé derrière son histoire, les belles images, qui ponctuent le film, paraissent s’installer et aller de soi.

L’interprétation est absolument excellente, tous les comédiens au diapason avec la fièvre et l’urgence de cette histoire où se jouent des vies. Je ne pourrai citer l’un des comédiens plus qu’un autre, tous étant remarquables (vous verrez, par exemple, la mère de Sean, à la fin dans quelques scènes ; elle aurait mérité un prix d’interprétation à elle seule).

Et c’est en cela que l’on reconnaît un grand film. Quand mise en scène, acteurs, scénario, convergent vers une harmonie totale qui engendre cette puissance. Il n’est que justice qu’il ait reçu le Grand Prix à Cannes.

Un film que je n’oublierai pas.

FB