Dans ce très joli musée du XVe arrondissement de Paris, niché au creux d’une rue calme, comme un havre de paix du siècle dernier, grands espaces d’atelier ouvrant sur des jardins intérieurs, nous pouvons contempler l’oeuvre d’Antoine Bourdelle (1861-1929), sculpteur originaire de Montauban, élève d’Auguste Rodin, artiste original pas assez reconnu de mon point de vue. De son maître, il fait sienne la force qui habite son expression ; il fait ensuite son chemin original bien que puisant aux tendances des époques qu’il traverse. Pour définir son style, j’emploierai personnellement deux mots, puissant et tellurique. Personnellement j’apprécie beaucoup ces sculptures belles et pures, habitées dans leur « massivité » et qui cherchent à incarner la grandeur. Et n’oublions pas qu’il était également peintre et illustrateur, un artiste complet en somme.

Sapho

La France

Herakles

Monument à Mickiewicz
Lorsque nous pénétrons dans ce Musée, qui fut son lieu d’habitation et de travail à partir de 1885, nous sommes transportés dans un ailleurs, un tout cohérent qui donne la même impression que lorsque nous visitons le Musée Gustave Moreau (absolument extraordinaire lui aussi) et nous met en communion avec l’artiste et son oeuvre (un peu comme quand vous contemplez un animal dans son milieu ambiant au lieu de le voir dans un zoo ; le zoo étant ici, si je pousse plus loin la métaphore, un musée, de ces musées éclectiques qui collectionnent les oeuvres différentes comme les zoos des animaux de toute provenance alors que nous sommes ici dans le milieu ambiant de l’artiste). C’est une très belle promenade que vous pouvez faire ici, parmi les fantômes bienveillants d’Antoine et de sa femme Cléopâtre (cela ne s’invente pas) qui surplombent les sculptures, peintures, dessins produits par ce brillant artiste.
Il est question ici, en plus d’une nouvelle visite bienvenue de ce bel endroit, de voir une exposition osée s’il en est, qui veut confronter l’oeuvre sculptée à des créations de mode, celles du couturier espagnol Cristóbal Balenciaga (1895-1972), qui fonde à Paris en 1937 la célèbre maison de couture qui porte son nom. Créateur très discret, il va révolutionner la mode, bien avant que Christian Dior ne prenne le relais dix ans plus tard sans le déposséder pour autant de son avant-gardisme qu’il continue à montrer jusque dans les années 1970. Ses créations sont très structurées, le plus souvent faites de noir et d’une grande beauté d’architecture, toute en sobriété. S’il fait parfois quelques incursions vers d’autres teintes, il reste fidèle le plus souvent à cette couleur magnétique, qui est centrale dans l’esthétique de son pays d’origine (voir les peintres espagnols, Goya, Velasquez, Zurbaran et autres et leur rapport au noir).
J’avoue être assez réticente à l’idée phare du moment qui consiste à confronter des objets culturels très différents, en forme de dialogue (?) renouvelé ; comme si de la simple juxtaposition (parce que c’est souvent l’unique concept de ce type d’étalage) pouvait surgir l’étincelle. Ici, pourtant, je dois admettre la pertinence de cette mise en perspective. Disons tout d’abord que ce « happening » a permis de drainer dans ce joli lieu un certain nombre de personnes qui n’y auraient jamais mis les pieds autrement, et c’est très bien. Même si nous pouvons déplorer quelques étourdis qui se focalisent sur les robes et tenues sans jeter un coup d’oeil au reste, ce n’est pas la généralité.
Et surgit ensuite de cet affrontement a priori improbable, une nouvelle beauté presque étourdissante. Au styliste qui a sculpté le noir dans toutes ses formes, opposant la matité d’un tissu à la transparence d’une dentelle ou au brillant d’un ruban mettant en relief les formes féminines, usant de matières modernes dans toute leur déclinaison de cette non-couleur au service de l’esthétique, répond la fièvre du sculpteur, qui décline principalement au moyen du bronze sa vision de l’Art. Raffinement et fragilité des tissus contre dureté et aspérité du métal… Et pourtant, en fil conducteur, une même aspiration vers l’absolu et un processus créatif similaire.
C’est vraiment magnifique.
FB