Voilà un film court (28 mns) spectaculaire et beau. Il a suscité bien des engouements à sa sortie, en pleine « Nouvelle vague » du cinéma français, auprès des professionnels, même s’il est resté quelque peu confidentiel. Il a inspiré Terry Gilliam pour son (magnifique) film « L’armée des douze singes » (1995).
Ce qui frappe tout d’abord en voyant l’oeuvre, c’est son côté totalement expérimental et pourtant si cohérent et (presque) enlevé. Je dois dire que je redoutais quelque chose de type « pensum », et que j’ai été surprise par la beauté de ce que je voyais.
Dans le futur, un homme, dont la voix off, présente tout au long du film, nous dit qu »il a « été marqué par une image d’enfance », vit l’effondrement de son monde dû à la troisième guerre mondiale et se retrouve parmi les survivants, prisonnier dans un camp souterrain à Paris. Il a en lui une image rémanente d’un homme qui s’est suicidé sur la jetée d’Orly et d’une femme qui assistait à cet évènement. Au gré d’expériences menés par des hommes mystérieux, pour lesquels il présente un potentiel à se focaliser sur ces images mémorielles, il va pouvoir voyager entre présent, passé et avenir.
C’est un film sur les paradoxes temporels, matière extrêmement intéressante si elle est bien abordée (dans la catégorie, « L’armée des douze singes », cité ci-dessus, « Source code » de Duncan Jones en 2011, ou pour citer deux opus plus récents, « Terminator genisys » d’Alan Taylor en 2015 et « Premier contact » de Denis Villeneuve en 2016). Ici, c’est toute la trame du court-métrage, forme qui oblige le metteur en scène à resserrer son propos ; aucun droit à l’erreur sur un opus si court, et le pari est réussi, nous sommes pris dans l’histoire.
Signalons qu’il s’agit d’un film expérimental, fait d’une série de photographies qui s’enchaînent (à l’exception d’une scène) ; ce parti-pris, conjugué à l’idée d’une voix off qui commente ce que nous voyons, crée une distanciation presque froide (j’ai pensé à l’auteur de science-fiction Philip K. Dick, absolument génial dans ses inventions, mais d’un certain hermétisme à la lecture) (1).
Il faut resituer le contexte pour mieux comprendre l’oeuvre. Nous sommes, comme déjà indiqué, dans ce mouvement cinématographique né dans les années soixante en France, la « Nouvelle vague », qui se donne pour but de renouveler le septième art, autour de personnalités phare tels que François Truffaut, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Eric Rohmer ou encore Claude Chabrol. Et nous ressentons toute cette envie d’expérimenter dans ce film, au sens de l’expérience scientifique. Mais également sur le plan esthétique, certaines de ses images pourraient provenir de films de Jean-Luc Godard, par exemple. Cela contribue également à le dater, nous ne sommes pas si loin de la Deuxième Guerre Mondiale et les voix et faciès des tortionnaires rappellent furieusement les camps de concentration de cette époque.
Bref, à la fois objet qui nous donne à voir sur une époque et bien réussi dans son propos (2).
A voir.
FB
(1) Digression : lire « Je suis vivant et vous êtes morts », biographie romancée de Philip K. Dick écrite par Emmanuel Carrère en 1993. Excellent.
(2) Mais pour ceux qui sont déjà en attente fiévreuse des « Gardiens de la galaxie 2 », s’abstenir… Rien à voir.