Daniel Mantovani, écrivain d’origine argentine qui vit à Barcelone, vient de recevoir le Prix Nobel de littérature. Devenu homme de mondanités, enchaînant dédicaces, discours et lectures d’un bout à l’autre de la planète, nous le saisissons au début du film (enfin, après la première scène mémorable où nous le voyons recevoir le fameux prix) comme en plein vague à l’âme, cinq ans après. Il annule toutes ses « tournées » les unes après les autres, il a abandonné provisoirement l’écriture et se languit, solitaire. Jusqu’à ce que son agente fasse mention d’une invitation un peu particulière, celle de son village d’origine, Salas, perdu dans l’Argentine, qui a décidé d’organiser quelques festivités auprès de ce « ciudadano ilustre » (« citoyen illustre », le titre du film, qui me semble mieux correspondre à l’histoire que la traduction française). Sur un coup de tête, lui qui n’a pas remis les pieds dans son pays d’origine depuis trente ans, décide de s’y rendre. Va s’ensuivre un épisode particulier dans sa vie, des retrouvailles complexes qui commenceront bien et finiront de manière plus mitigée, si je peux dire.
Le cinéma argentin est pour moi à part, mélange de cinéma espagnol et italien (il est d’usage en Amérique du Sud de définir les Argentins comme des « Italiens qui parlent espagnol » et pour y être allée plusieurs fois, je peux dire que ce n’est pas faux). A l’Espagne, il emprunte une forme de récit très structuré et souvent brillante (« Les neuf reines », Fabian Bielinski, 2000) ; à l’Amérique du Sud, un imaginaire très particulier qui fait parfois revivre les morts (pensons au livre « Cent ans de solitude » de l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez, comme exemple) ou tout du moins permet la perméabilité du merveilleux dans une histoire bien réelle (« Dans ses yeux », Juan José Campanella, 2009) ; à l’Italie, enfin, un fatalisme empli d’humour, un réalisme qui fait dans la dérision.
Ici, c’est à la troisième influence que m’a fait penser ce film en dominante, évoquant par exemple Nanni Moretti. Avec ce personnage masculin d’un certain âge, cultivé, ayant mené une vie brillante et qui commence à s’interroger sur son existence, tentant de renouer les fils de son passé. Le tout nimbé d’une cocasserie parfois grinçante… Nous sommes loin du feel good movie américain, les péripéties de cet écrivain dans son « camp de base » sont au mieux réalistes, au pire cauchemardesques. Rien ne ressemble moins à ces jolis films hollywoodiens (ou autres) que ce que nous avons là, les retrouvailles tant espérées se concluant par une chasse à l’homme dans le noir (nous faisant penser irrésistiblement à « Un homme est passé » de John Sturges, tourné en 1955 avec Spencer Tracy dans le rôle titre).
Avouons quand même, pour éclairer ce que je viens de dire, que nous rions pas mal dans ce film (surtout au début). Le discours de l’impétrant au moment où il reçoit le Prix Nobel est à cet égard assez irrésistible ; et d’autres occasions nous amèneront à rire ou tout du moins à sourire. Et tout cela illustre assez bien cette citation de Chris Marker « L’humour est la politesse du désespoir ».
C’est donc un film parfaitement équilibré auquel nous sommes conviés, entre humour et gravité, comme un film biographique qui intégrerait des dimensions de type polar et romance, tout cela frotté à l’émeri pour n’en laisser affleurer que les aspérités.
Dans le rôle titre, Oscar Martinez, absolument excellent, qui a d’ailleurs reçu un prix d’interprétation au festival de Venise. Il nous donne envie, à chaque image, de le suivre jusqu’au bout de cette aventure inconfortable dans laquelle il s’est lancé.
A recommander.
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