Encore une belle découverte, d’un auteur américain né en 1956, qui n’en est pas à son premier ouvrage, mais dont je viens de croiser la route littéraire en ce début d’année 2017.
Dans ce roman de quelques trois cent pages, nous allons découvrir la trajectoire d’un couple américain, Hoa, d’origine asiatique, et Dale que nous allons suivre dans un périple au Mexique, sur les traces d’Ambrose Bierce (1). Lorsque nous faisons leur connaissance, ils sont déjà dans ce huis-clos qui va durer tout le livre, étrangers perdus dans un monde différent et le plus souvent isolés dans une voiture au long d’immenses traversées dans la chaleur de ce pays.
Certains (2) pourraient objecter qu’il ne se passe pas grand chose dans ce roman. Effectivement, si nous comparons à ce que nous appelons actuellement « se passer quelque chose », ici pas de péripétie extravagante, d’enlèvement, de rupture, de guerre déclarée, de mission à remplir. Mais quelque chose de bien plus profond, de l’ordre de l’aventure intérieure, celle qui compte le plus d’après moi. Au cours de ce voyage en forme d’errance, comme un périple de la dernière chance, peut-être, l’auteur va dresser la situation du couple avec un brio incroyable quand il introduit des éléments antérieurs au présent de l’histoire, qui viennent s’enrouler avec délicatesse à la trame principale comme pour lui donner du corps. Nous allons apprendre bien des choses, jusqu’à l’intime, sur cette relation banale dont l’écrivain excelle à rendre la magie de l’indicible. Deux personnalités a priori dissemblables dont nous voyons les différentes accroches qui les soudent entre eux, ainsi que les points de friction. Le fait que l’homme porte le récit renforce sûrement encore cette part de mystère, autour de l’autre si familier et pourtant si irréductible. Le couple s’est imposé aux deux comme une évidence, dont le protagoniste masculin ne cesse de scruter l’envers et l’interne comme pour mieux le comprendre.
Tout cela aurait ses limites, si l’auteur ne laissait planer sur ce qu’il nous conte deux ombres, l’une intérieure au cercle privé de Hoa et Dale, leur fils Declan, dont nous comprenons qu’il a disparu corps et âme de leur vue (mort ? fuite ? autre tragédie ? je ne vous dirai pas). Et l’autre, extérieure, en forme de petits chapitres insérés selon un rythme erratique, qui commence par un règlement de comptes violent (vraiment violent, je vous préviens) et se poursuit par des flashs sur un personnage à peine décrit, dont nous sentons toute les possibilités funestes qu’il véhicule. Tout cela crée un contexte dramatique au roman, comme une tonalité sourde et presque angoissante qui s’immiscerait entre les pages, faisant d’autant plus ressortir l’aventure du couple ; la scène de la fin, magnifique et brutale, n’en prend que plus d’ampleur.
Et tout autour, une nature muette et belle, que l’auteur décrit avec acuité et sensibilité, jusqu’à nous faire ressentir l’immensité des paysages solitaires et l’implacable chaleur qui s’étend partout. Mentionnons qu’il est né dans le désert des Mojaves en Californie ; il puise sûrement dans cette origine toute la force avec laquelle il fait exister ces paysages, qui finissent par prendre autant d’importance que l’histoire du couple, comme un deuxième protagoniste qui dialogue avec le premier. A peine bienveillante au départ, cette nature va se révéler redoutable à la fin, menaçant la vie même des deux qui la sillonnent. Nous retrouvons là, d’une manière fort originale, il faut le dire, cette antienne de la littérature et de la filmographie américaines, sur le thème de l’inscription de l’humain dans la nature (que j’ai plusieurs fois abordé dans mes différents articles).
Tout cela, grâce à la sensibilité et à l’écriture ciselée de l’écrivain, fait un équilibre miraculeux contenu dans ce magnifique livre.
Je ne peux que vous inviter à la lecture.
FB
(1) Ecrivain et journaliste américain (1842-1913 ?), probablement mort au Mexique alors qu’il allait rejoindre les armées de Pancho Villa. Plume acerbe, on lui doit le très drôle et très noir « Dictionnaire du diable » (1906), dont je ne peux qu’encourager la lecture avec par exemple cette citation :
Destin : Puissance qui gouvernerait les affaires, surtout invoquée par les humains à la dérive pour justifier leurs échecs
Personnellement, j’adore !
(2) J’ai les noms !