Cinémas – Elite ZEXER : Tempête de sable (2016)

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Voilà un de ces films que j’aime bien, car ils vous plongent dans un univers bien différent du nôtre mais lui font comme une résonance intéressante, comme nous l’allons voir dans la digression que je me permettrai ci-après (c’est mon blog après tout, je fais ce que je veux, na !).

Dans un village bédouin du Néguev, au sud d’Israël, Suleiman, père de famille, prépare son deuxième mariage au grand dam de sa première femme, Jalila, qui découvre au même moment que sa grande fille Layla entretient une relation avec un de ses condisciples de l’université où elle fait ses études, menaçant de honte la famille entière selon les traditions.

Autour de cette situation de départ, bien complexe, va se nouer une tragédie limpide et courte (moins d’une heure trente) au travers de cette histoire familiale. De la complicité portée par la scène d’ouverture où nous voyons le père laisser le  volant de sa voiture à sa fille pour regagner le village (et le lui reprendre dès qu’ils sont susceptibles de croiser un être humain), il ne restera rien à la fin du film que ruines et cendres. Les deux événements simultanés, le remariage et la découverte de cette (chaste) liaison vont provoquer des événements en chaîne qui vont placer chacun des protagonistes dans des situations extrêmes qu’ils seront bon gré mal gré obligés d’assumer.

Notons que c’est un film porté par les femmes, Jamila, la mère, Leila, la fille et dans une mesure plus discrète, la deuxième femme, un peu perdue dans ce qui est en train de se jouer là. Les figures masculines, Suleiman et en apparition furtive le père de Jamila ne sont là que pour porter une figure d’autorité presque désincarnée, qui promeut le respect de la tradition à tout prix. De père spontané comme nous l’avons entrevu au début, Suleiman se mue en représentation presque hiératique du pouvoir patriarcal, comme s’il laissait voir son vrai visage. Et tout cela se resserre en quelque sorte en focalisation sur la condition féminine, vrai centre de l’histoire, et il faut le dire peu enviable ici. Première femme obligée d’accepter une nouvelle épouse, de préparer la magnifique nouvelle maison et la cérémonie des noces ; épouse répudiée que son père vient rechercher au domicile familial, la séparant de ses enfants ; jeune fille à qui l’on a fait entrevoir un autre horizon (études à l’université, leçons de conduite en douce) et qui replonge, en sacrifice que je vous laisse découvrir, dans une tradition archaïque qui la soumet pour de bon.

Que l’on me comprenne bien ici, je ne veux pas instrumentaliser ce film, qui bien que réalisé par un Israëlien, se focalise sur une famille musulmane, pour pointer uniquement la condition féminine dans les pays arabes. Ce serait trop facile et « mainstream« , notamment avec Daech en arrière-plan ; j’aurai l’impression de hurler avec les loups. Il s’agit de parler d’une condition féminine notoirement chahutée par les religions au travers des âges, sans que cela ne s’arrête vraiment tout à fait. Rappelons-nous le superbe film « Kadosch » (Amos Gitaï, 1999), dans lequel une des phrases de prière prononcées par le héros juif ultra-orthodoxe à son lever est « Merci, Dieu, de ne pas m’avoir fait femme ». Cela laisse rêveur (ou rêveuse, en l’occurrence). Le sujet est d’ailleurs proche de celui qui nous occupe, le héros va reprendre femme devant l’infertilité de sa première épouse. Et pour parler des Catholiques, citons le terrible « The Magdalene sisters » (Peter Mullan, 2002) où nous voyons des femmes enfermées dans des couvents parce qu’elles ont pêché (elles se sont laissé violer par exemple…), dans une vie faite d’humiliation et de dureté, jusqu’à ce qu’un membre masculin de la famille consente à venir les libérer… Ou non. Notons en rappel historique nécessaire, que les dernières maisons ont fermé en Irlande en 1996. Ainsi, les trois religions monothéistes, Islam, Judaïsme, Christianisme, ont porté la même vision de la femme, dans une temporalité décalée en raison des cycles historiques, mais qui reviennent sur le fond exactement au même d’après moi (1).

Et d’ailleurs n’oublions pas de rester vigilants chez nous en France ; là encore, sans me réclamer d’un mouvement féministe quelconque, simplement en tant que femme, je m’étonne de voir que notre pays n’a connu depuis l’origine qu’une femme Premier Ministre (2), vilipendée d’une manière qui n’aurait pas utilisé pour un homme (3) ; alors que nous voyons des femmes à des postes de responsabilité gouvernementale dans nombre de pays, dont je souhaite ici faire une liste en forme d’hommage :

Pour les chefs d’état
Israël (Golda Meir), Liberia (Ellen Johson Sirleaf), Ile Maurice (Ameenah Guibre-Fakim), Costa-Rica (Laura Chinchilla), Nicaragua (Violeta Barrios de Chamorro), Panama (Mireya Moscoso), Argentine (Cristina Kirchner), Brésil (Dilma Rousseff), Chili (Michele Bachelet), Guyana (Janet Jagan), Corée du Sud (Park Geun-Hye), Inde (Pratibha Patil), Indonésie (Megawati Sukarnoputri), Népal (Bidhya Devi Bhandari), Philippines (Corazon Aquino et Gloria Macapagal-Arroyo), Sri-Lanka (Chandrika Kumaratunga), Taïwan (Tsai Ing Wen), Croatie (Kolinda Grabar-Kitarovic), Estonie (Kersti Kaljulaid), Finlande (Tarja Halonen), Islande (Vigdis Fingodabottir), Kosovo (Atifete Jahjagaà, Lettonie (Vaira Vike-Freiberga), Lituanie (Dalia Grybauskaité), Malte (Agatha Barbara et Marie-Louise Coleiro Preca), Irlande (Mary Robinson et Mary Mac Aleese), Suisse (Doris Leuthard), Iles Marshall (Hilda Heine)

Pour les chefs de gouvernement
Mozambique (Luisa Diogo), Namibie (Saara Kuugongelwa-Amadhila), Dominique (Eugenia Charles), Jamaïque (Portia Simpson-Miller), Trinité-et-Tobago (Kamla Persad-Bissessar), Bangladesh (Khaleda Zia), Inde (Indira Ghandi), Pakistan (Benazir Bhutto), Sri Lanka (Sirimavo Bandaranaike), Thaïlande (Yingluck Shinawatra), Turquie (Tansu Ciller), Allemagne (Angela Merkel), Croatie (Jadranka Kosor), Danemark (Helle Thorning-Schmidt), Islande (Johanna Siguroardottir), Lettonie (Laimdota Straujuma), Norvège (Gro Harlem Bruntland et Erna Solberg), Pologne (Beata Szydlo), Royaume-Uni (Margaret Thatcher, Theresa May, Nicola Sturgeon et Arlene Foster), Ukraine (Ioulia Timochenko), Yougoslavie (Milka Planinc), Australie (Julia Gillard), Nouvelle-Zélande (Jenny Shipley, Helen Clark).

Regardons maintenant la diversité de notre monde politique en France : à part Marine Le Pen, (bien à part et ce que je dis ici peut apporter un éclairage différent sur sa candidature et sa manière d’être), citez moi, parmi les nombreux candidats aux deux primaires, droite et gauche, une seule femme (ou alors elle était bien déguisée et nous ne l’avons pas identifiée…). Notons que la France a baissé au 60e rang mondial pour la parité parlementaire à presque égalité avec le Soudan du Sud ou l’Irak (mais rassurons-nous les USA sont à la 96e place !).

Continuons avec le monde des entreprises : dans les grands groupes, 36 % des salariés sont des femmes, 30% des cadres sont des femmes et 11 % des dirigeants sont féminisés (pour une parité presque parfaite à la naissance : 104 garçons pour 100 filles, chiffre à peu près stable depuis plus de dix ans). Et trois femmes à des positions de direction (manière de dire qu’elles ne sont pas complètement aux manettes) sur les 40 entreprises les plus importantes en France (CAC 40).

Bref, tous chiffres qui laissent rêveurs. Nous sommes la patrie des « Droits de l’Homme », nous pouvons nous demander si cet étendard n’est pas « genré », laissant de côté la gent féminine renvoyée à ses salaires inférieurs, ses positions subalternes et tutti quanti. Nous ne pouvons accuser la religion seule et l’empreinte qu’aurait laissé le Catholicisme, puisque l’Irlande et la Pologne, par exemple, ont compté des femmes politiques de premier plan. Cette question reste à creuser, mais je dois dire que nous sommes face à une injustice cachée

Je m’égare, me direz-vous, et vous aurez raison si nous considérons strictement l’objet de cet article, qui était de faire la critique du film cité en titre ; en fait ce n’est qu’un effet d’optique, ce film honnête au demeurant, n’ayant pour moi que l’intérêt de déclencher ce type de réflexion.

Allez le voir ainsi et il vous plaira.

FB

(1) Je ne m’aventurerai pas du côté des autres religions, étant parfaitement inculte sur le sujet.
(2) Edith Cresson, Premier Ministre fugitif de mai 1991 à avril 1992.
(3) Notez que bien des femmes qui montent en politique sont accusées « d’avoir couché » pour aboutir ; là où les fredaines multiples de nos Présidents ne font que les grandir dans l’opinion publique, car « Ce-sont-de-vrais-hommes ». Vraie dissymétrie…