Voilà un conte des Frères Grimm (1) peu connu et comme tous les contes recueillis par ces géniaux inventeurs d’histoires, cruel à souhait. Il est d’ailleurs très intéressant de noter la différence entre eux et Charles Perrault (France, XVIIe siècle) dans leur manière de restituer ces histoires populaires, le deuxième ayant tendance à les policer pour les rendre plus audibles. Ainsi dans « Cendrillon« , si les belles-soeurs gagnent le pardon de l’héroïne chez Perrault, elles se mutilent les pieds pour entrer dans la chaussure de verre/vair et sont condamnées à être aveuglées, dans la version des Frères Grimm. L’étape finale vers le politiquement correct a été franchie avec les Studios Walt Disney, qui ont transformé ces âpres récits en bluettes emplies de rose et bleu, soulignées par des refrains sirupeux à souhait.
Or, si l’on en croit Bruno Bettelheim et son excellent ouvrage « Psychanalyse des contes de fées » (1976) – qui est un des plus grands chocs que j’ai eu en littérature -, l’enfant éprouve les mêmes pulsions de mort/rage/tristesse/violence que les adultes et il doit pouvoir les exprimer. Les contes de fées lui offrent une projection possible hors de lui-même de tous ces sentiments négatifs qu’il a du mal à exprimer. Les affadir peuvent leur enlever ce pouvoir de transfert enfantin (bien que l’ossature des contes eux-mêmes, que l’on ne peut toucher au risque de ne plus avoir d’histoire, reste assez explicite : un roi veut épouser sa fille, une marâtre demande à un chasseur de tuer sa belle-fille, des enfants sont abandonnés dans la forêt par leurs parents, une enfant est maudite par une sorcière qui la voue à une mort prématurée, une grand-mère est tuée par un loup presque sous les yeux de sa petite-fille…). Je vous laisse retrouver les contes ! (2)
Ici, un meunier, réduit à l’indigence par le tarissement de la rivière qui alimentait son moulin, est abordé par un homme étrange qui lui propose la richesse en échange de ce qu’il y a derrière son moulin. Le meunier accepte, pensant que l’homme convoite son beau pommier dans la cour et devient instantanément très riche, ayant juste oublié que sa fille se trouvait également à l’arrière de la maison… Je ne vous en dirai pas plus, vous me connaissez !
La psychanalyse de cette histoire donnerait sûrement de bien beaux résultats. N’étant pas professionnelle dans le domaine, je noterai quand même le fait qu’un homme vend son enfant, le rend sale (au sens propre du terme) et le mutile pour décrocher des biens matériels. Pas mal, non ?
Histoire rude et âpre, qui tient en quelques pages écrites et en une heure vingt minutes du présent film. Qui est une vraie merveille. Car Sébastien Laudenbach a choisi d’en faire une animation à partir de planches peintes à l’aquarelle (et peut-être à l’encre ?), faisant exister ses sujets en quelques traits et ombres de couleur.
Tout comme Michel Ocelot qui nous enchante avec ses ombres chinoises depuis de nombreuses années (3), il nous montre que l’ellipse est au moins aussi évocatrice que l’hyperréalisme, comme celle des récents opus du cinéma d’animation américain (dont certains excellents au demeurant). Nous pouvons ici insérer de la poésie et de l’enchantement que ne nous procureront jamais l’explicitation absolue recherchée par les films cités plus haut. Le flou, le vague nous laissent dérouler notre imagination pour mieux faire l’oeuvre à notre image et nous en sommes d’autant plus touchés.
Merci à Sébastien Laudenbach pour ce beau moment.
FB
(1) Linguistes et collecteurs de contes allemands, nés à la fin du XVIIIe siècle et morts dans la deuxième partie du XIXe siècle. On leur doit la transmission de contes désormais très célèbres « Blanche-Neige », « Hansel et Gretel », « Cendrillon », « Le petit chaperon rouge », « La belle au bois dormant »…
(2) Allez, je ne vous abandonne pas à ces difficiles énigmes ; dans l’ordre : Peau d’âne, Blanche-Neige, Le petit poucet, La belle au bois dormant, Le petit chaperon rouge.
😉
(3) Cinéaste français à qui l’on doit notamment « Kirikou » et les diverses suites, ainsi que « Princes et princesses », « Les contes de la nuit » et plus récemment « Ivan Tsarevitch et la princesse changeante ».