Cinémas – Kenneth LONERGAN : Manchester by the sea (2016)

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Voilà un film qui a fait le « buzz », dès avant sa sortie, j’ai donc décidé d’aller le voir rapidement pour ne pas me laisser influencer par les avis des uns et des autres (j’aime beaucoup partager avec mes amis sur les films, mais il faut que je reste neutre pour pouvoir faire une chronique personnelle).

Un peu trompeur pour moi, qui n’avait rien lu sur le sujet et étais persuadée qu’il s’agissait d’un film anglais ayant pour ancrage la ville de Manchester (vous voyez ici combien ma géographie de l’Angleterre laisse à désirer, cette ville étant bien loin de la mer). Et puis et surtout, des réminiscences de mélodrames anglais magnifiques, tels ceux de John Schlesinger avec Julie Christie, confortaient cette idée. Et bien non, nous sommes aux  Etats-Unis, au nord de Boston, dans cette zone où maintes villes portent des noms issues du pays originel (Manchester, Gloucester…).

Lee Chandler (Casey Affleck), homme à tout faire à Boston, apprend le décès de son frère aîné Kyle et revient dans sa ville d’origine, Manchester by the sea, pour régler la succession. Il va retrouver son neveu Patrick (Lucas Hedges), adolescent de seize ans et revoir son ex-femme Randi (Michelle Williams), dont il s’est séparé à la suite d’une tragédie atroce (que je ne vous conterai pas ici, mais accrochez-vous !).

Pendant plus de deux heures, nous allons suivre cet homme, taiseux et, comme nous le découvrirons, blessé jusqu’à l’âme, et ses retrouvailles rugueuses avec sa vie d’avant qu’il a volontairement quitté. Il va ainsi refaire connaissance avec son neveu, lui-même abandonné et seul sur terre (ses parents ont divorcé et son père vient de mourir), d’une maturité étonnante et les deux hommes vont maladroitement s’entraider pour trouver une issue dans les drames qui menacent de les engloutir.

Notons tout d’abord la fluidité de la mise en scène qui sait alterner flash-backs et visions du présent dans un grand ensemble cohérent, jusqu’à construire un récit prenant qui nous entraîne sur toute la durée sans difficulté. Illustrant cette histoire qui ne nous conte presque rien, et pourtant nous dit tant de choses. Tout ici est dans l’équilibre, qui établit comme une harmonie intrinsèque et très personnelle à l’oeuvre.

C’est une histoire abrupte qui nous est montrée ici, celle de ce personnage devenu tragique et taiseux, qui ne vit plus qu’à moitié et dont nous sentons qu’il effectue ici, peut-être, un pas vers la rédemption. Sa femme a (presque) réussi à tourner la page, son neveu nous montre toute la résilience de la jeunesse, qui semble quand même masquer des épisodes de profond désespoir. Et ces destinées tragiques prennent d’autant plus de force lorsqu’elles sont confrontées aux souvenirs heureux du passé.

Je dois rendre un hommage particulier à trois acteurs immenses, qui portent le film et lui permettent d’être l’oeuvre que nous voyons. Casey Affleck, bien différent de son impavide aîné, Ben Affleck, fait ici une prestation incroyable, toute en intériorité et retenue. Il est étonnant dans la nuance qu’il arrive à installer entre les épisodes révolus où nous le voyons insouciant et joyeux et son quasi-autisme présent. Un très grand acteur, que je n’avais pas vraiment remarqué avant. Michelle Williams est toute en sensibilité et force affichée, qui menace de rompre à tout moment. Je tiens la scène de l’explication entre eux deux pour une des plus belles que j’ai  vues. Et enfin, un nouveau venu, Lucas Hedges, impressionnant de sensibilité et de talent, qu’il faudra absolument suivre.

Tragédie feutrée, toute en retenue, c’est un opus passionnant d’une très grande qualité.

FB