Peinture : Henri FANTIN-LATOUR (1836-1909)

Ignace Henri Jean Théodore Fantin-Latour, plus connu sous le nom d’Henri Fantin-Latour (heureusement pour nous…) est un peintre français du XIXe siècle, classé dans la catégorie des mineurs, tout du moins au regard des poids lourds de l’époque, les Impressionnistes notamment.

Comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, j’aime aller à la rencontre de ces artistes méconnus ou parfois même disparus, car, au-delà de la beauté que l’on peut trouver dans leur oeuvre, ils nous disent chaque fois quelque chose sur leur époque.

J’ai pu voir une exposition au Musée du Luxembourg dimanche dernier, dans des conditions idéales (un premier janvier, le froid aidant…). Et je dois reconnaître que certaines de ses toiles ont été un choc, même si je le connaissais un peu avant.

Fils d’un peintre, il est dès sa jeunesse initié à cet art, épousera Victoria Dubourg, également peintre et fréquentera le milieu artistique de l’époque. Sa jeunesse est marquée par un séjour à Londres, auprès de James McNeill Whistler, grand peintre anglais de l’époque. C’est en Angleterre que lui vient le goût des natures mortes, notamment des peintures de bouquets, qui se retrouvent actuellement en nombre dans les musées anglais.

Nous le percevons solitaire et très épris de son art, qu’il place très haut : « le travail artistique c’est tout, je veux faire des chefs-d’oeuvre, il n’y a rien d’autre », dit-il en 1864. Et nous retrouvons cette ambition, très intériorisée, dans les autoportraits qu’il peint à cette époque.

autoportrait

Autoportrait, 1861

Nous sentons dans la toile ci-dessus une dramatisation très mise en scène (comme le seront toutes ses toiles), montrant un jeune homme de 25 ans un peu mélancolique et pourtant très volontaire, dont le regard profond ne vous lâche pas. L’austérité du fond et du costume, tout en brun/blanc/noir nous apparaît presque « janséniste », trouvant écho par exemple dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Il y a également comme un air de Manet qui plane sur cet autoportrait.

Ce sont des constantes que nous retrouverons tout au long de l’exposition.

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Ci-dessus, deux portraits de groupe : dans l’ordre, sa future femme (en clair) et la soeur de celle-ci ; puis les deux soeurs de l’artiste, qui lui ont souvent servi de modèle. Nous retrouvons l’austérité des tenues, à peine égayées d’un ruban bleu pour une des femmes. Et surtout nous sommes frappés par le côté songeur des personnages, juxtaposés, comme par coïncidence par le peintre, sans aucune relation entre elles. C’est une peinture de la solitude, du monde intérieur que nous donne à voir l’artiste ainsi que de l’incommunicabilité. Cette dernière dimension est particulièrement frappante dans la première représentation ; nous pouvons même avoir l’impression de deux tableaux accolés, tellement les motifs, la couleur du fond et la représentation des personnages est différenciée au sein de la même oeuvre. Nous sentons très bien que dans la fratrie existent une soeur introvertie et une plus solaire, qui nous regarde droit dans les yeux. C’est également une peinture contemplative et immobile que nous regardons.

Ses portraits de groupe, peut-être les plus connus de sa peinture, où il agrège des personnalité de l’époque dans un ensemble un peu artificiel, répondent aux mêmes principes.

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Un coin de table, 1872

Ainsi le tableau ci-dessus, peut-être un des plus présents dans nos mémoires, montre au premier plan, sur la gauche, Paul Verlaine et Arthur Rimbaud (c’est l’une des représentations les plus célèbres des deux écrivains). Autour d’eux, des personnalités du monde littéraire. Et toujours ces airs absents, ces personnages qui ne communiquent pas entre eux, comme absents à ce qui les entoure.

Le vrai coup de coeur, auquel m’a mené ce cheminement parmi la représentation d’humains, ce sont les natures mortes. J’avoue ne pas vraiment être sensible au genre, sauf pour quelques artistes, comme par exemple Jean Siméon Chardin, dont les toiles m’émeuvent au plus haut point, comme un rappel d’humilité et de plaisir quotidien simple qui me laissent toute retournée.

Ici, même chose avec les bouquets, tellement beaux et humbles à la fois. Au départ un peu précieux, nous sentons l’artiste voulant faire assaut de son art, comme dans la toile ci-dessous, offerte à sa future femme comme cadeau de fiançailles. Virtuosité de l’agencement des différents objets, contraste pensé des textures, tout se veut parfait, dans un équilibre presque surnaturel.

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Dans les toiles qui suivent (et qui deviennent de plus en plus magnifiques jusqu’à nous laisser en contemplation…), nous sentons que l’artiste a trouvé sa voie, les accessoires tels que coupes, verres et autres babioles disparaissent pour laisser les fleurs, aidées parfois de quelques fruits, prendre toute la place sur la toile.

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Comme ces pois de senteur, par exemple, tout en délicatesse et mouvement dynamique.

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Et cette cruche de verre qui attend les roses posées à son côté. Elles ont l’air presque vivantes, au seuil de la mort, pour tout dire, dans l’espoir de puiser de l’eau dans le récipient. Quelle beauté douce et cruelle que ce tableau, magnifique.

lys

Et enfin, mon tableau préféré dans l’exposition. Au milieu de tant de merveilles, il se détachait dans toute sa sculpturalité. Ouvrant la voie à tant de réminiscences… Le lys, fleur emblématique de la Vierge Marie (présent dans maintes « Annonciations »), qui représente la pureté. Sur un fond noir, comme pour rappeler la mort du Christ mais également la mort des fleurs elles-mêmes. Puisant ainsi, à mon avis, dans toute la tradition chrétienne pour nimber la toile d’un halo merveilleux. Tout en restituant quelque chose de très simple, de magnifiques fleurs blanches aux silhouettes découpées sur fond noir, frèles et arrogantes à la fois. J’ai adoré.

C’est donc une vraie découverte que cet artiste, capable de peindre des humains aussi statiques que des natures mortes et d’évoquer la vie au travers de fleurs coupées.

FB