Années 1950. Tilly revient après des années dans son village perdu où elle a vécu bien longtemps auparavant une tragédie personnelle. Couturière de son état, ayant travaillé pour de grandes maisons françaises (Madeleine Vionnet par exemple), elle débarque telle une icône de mode dans cet endroit du bout du monde, où elle va peu à peu provoquer des révélations en chaîne, occasionnant un séisme dans la petite communauté assoupie.
Tilly, c’est Kate Winslet, la quarantaine épanouie, superbe dans ces robes et ensembles haute couture, tous de soie, laine et taffetas précieux, maquillée et chaussée d’escarpins, comme une irruption incongrue dans ce milieu naturel hostile (un peu à l’instar de Nicole Kidman dans « Australia » en 2008, mais en moins surfait). Derrière le mannequin stylé, nous sentons pourtant une femme bien adaptée à ces lieux un peu sauvages ; c’est d’ailleurs une des qualités de l’actrice d’être ici tout-terrain, si je peux dire, c’est à dire de se couler dans son environnement sans hiatus ni hésitation. Car je tiens Kate Winslet pour une grande actrice, depuis « Titanic » (James Cameron, 1997), parfois inexploitée, parfois sous-exploitée, certes, mais au talent certain et à la beauté intemporelle et radieuse. Avec le temps s’est glissée en elle une fragilité liée à la maturité, qui la rend d’après moi encore plus magnifique.
Elle est là dans une oeuvre où elle peut donner sa mesure, en vamp que n’auraient pas renié les cinéastes des années 40/50, même si son personnage n’est ni hystérique ni complètement flamboyant (nous ne sommes pas dans le cinéma américain où ce type de performance est apprécié et où sont régulièrement couronnés par des oscars les acteurs incarnant des personnalités hors du commun (1), comme s’ils ne parvenaient pas à sublimer des personnages ordinaires (2) ). Nous sommes en effet dans un film australien, catégorie tout à fait à part et dont j’adore personnellement certains opus (notamment « Ballroom dancing » de Baz Lurhmann en 1992). C’est un cinéma particulier, à la fois clinquant sur la forme (kitch, dirions-nous) et très libre, du moins d’après nos critères, dans la description des relations entre les gens. Un ton un peu grinçant parcouru de couleurs acides, une sorte d’hyperréalisme qui tendrait vers l’onirisme, fondus dans un cinéma qui repousse et attire à la fois, voilà ce à quoi nous sommes conviés. Même les tragédies les plus intenses (ici la mort d’un petit garçon des années auparavant, une femme que nous sentons en quête de vengeance et une communauté muette et hostile – cela doit vous rappeler quelques films américains, non ?), prennent un tour risible et réjouissant, sans que nous oublions pour autant le fil (très) dramatique qui guide le récit.
Je ne peux m’empêcher (comme presque à chaque fois) de comparer ce film à ce qu’aurait pu être son alter-égo américain. En effet, nous sommes dans les deux cas devant une trame solide et carrée, à la narration qui progresse de manière limpide ; ce sont des oeuvres qui avancent à visage découvert, si je peux dire. Et pourtant, et pourtant, le scénario australien brode sur la trame en question d’innombrables motifs fantaisistes et décalés, qui font prendre à l’histoire un tour différent, même si le fil d’ensemble trace droit. Personnages un peu grotesques, accentués par le jeu des comédiens, situations presque absurdes ou outrées, tout concourt à cet infime pas de côté, que nous ressentons d’autant plus fort qu’il nous semblait nous trouver en terre connue. Et ne parlons pas de l’irruption d’un drame soudain, au milieu du film, qui nous prend par surprise, nous autres assoupis devant un objet que nous pensions maîtriser.
Tout cela donne un film noir et réjouissant, auquel il manque peut-être un tout petit supplément d’âme, mais qui détonne dans la production actuelle.
Notons les acteurs et actrices qui entourent Kate Winslet, et qui ici ne craignent pas de se mettre en danger ; je pense notamment à Judy Davis, méconnaissable en mère acariâtre et infirme et à Hugo Weaving (le méchant de Matrix), policier travesti à ses heures perdues. Liam Hemsworth, pas mal lui aussi, nous impressionne surtout par sa beauté plastique : il est tout simplement superbe.
C’est donc un film à voir, même si l’on peut préférer d’autres références australiennes en la matière.
FB
(1) En guise d’exemples multiples (et je ne m’intéresse qu’aux hommes, ici ; il en va de même pour les actrices) :
- 2016 : Eddy Remayne dans « Une merveilleuse histoire du temps », où il tient le rôle de Stephen Hawking
- 2013 : Daniel Day Lewis en Lincoln
- 2012 : Jean Dujardin dans « The artist »
- 2011 : Colin Firth en George V
- 2007 : Forrest Whitaker en Amin Dada
- 2006 : Philip Seymour Hoffman en Truman Capote
- 2005 : Jamie Foxx en Ray Charles
- 1995 : Tom Hanks dans « Forrest Gump »
(2) Un chef cuisinier, dont j’ai oublié le nom (mais pas les paroles) disait que l’on voyait un excellent cuisinier à sa manière de préparer un plat simple et il citait l’omelette.