Peinture – Albert BESNARD (1849-1934)

Voilà encore un peintre français méconnu remis à l’honneur par cette belle institution qu’est le Petit Palais (Paris). Contrairement, à mon avis, à son grand frère, qui fait souvent dans une certaine facilité (actuellement « Hergé », dont nous ne commenterons pas l’évidence, et « La peinture mexicaine », très tendance, y sont à l’honneur dans un hétéroclisme qui force le respect), il creuse son sillon dans son terrain de prédilection, l’art du XIXe siècle, élargissant parfois son propos aux siècles adjacents. Sûrement moins doté financièrement, il remplace l’argent qu’il n’a pas par une inventivité et un goût de la découverte. Il nous a ainsi permis de faire la connaissance d’un certain nombre d’artistes que nous ne connaissions pas et qui finissent par donner une idée assez juste de l’art de cette époque, remplissant les vides qui entourent des figures artistiques plus emblématiques telles que les Impressionnistes, les Fauves et j’en passe… J’ai pu ainsi à titre personnel admirer des oeuvres de John Singer Sargent (1856-1925), Joaquin Sorolla (1863-1923), William Blake (1757-1827), Giuseppe De Nittis (1846-1884), José Maria Sert (1874-1945) et autres…

Dans de telles expositions, sur des « anonymes », nous mesurons la puissance de la sélection opérée par la société et par l’histoire dans l’art produit par une époque donnée.

Si nous en revenons à notre peintre, par exemple, nous découvrons à la lecture des cartons de l’exposition, qu’il s’agit d’une personnalité du monde artistique de l’époque. Né de deux parents eux-mêmes artistes, marié à une sculpteur (elle-même fille de sculpteur !), père de cinq enfants qui ont embrassé une carrière artistique (peinture, architecture, sculpture…), il est récipiendaire du célèbre Prix de Rome et séjourne à la Villa Médicis où il fréquente Franz Liszt. Il devient directeur de la Villa Médicis puis directeur des Beaux-Arts de Paris. Il est le premier peintre à entrer à l’Académie Française depuis le XVIIIe siècle en 1924 et aura droit à des funérailles nationales. Et pourtant nous connaissons à peine ce célèbre inconnu, disparu de nos radars d’amateurs d’art, perdu corps et oeuvre dans les replis du XXe siècle.

C’est pourtant un peintre passionnant, par les magnifiques portraits qu’il peint ou dessine au pastel, surtout quand il représente des femmes.

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Madame Roger Jourdain (1886)

Le tableau ci-dessus par exemple, qui a fait scandale, par sa liberté d’exécution. La jeune femme, qui revient du jardin, semble prise dans une lumière surnaturelle, à la fois blanche et jaune, qui nimbe son visage et fait resplendir la soie de sa robe. Elle est saisie en plein mouvement, dans toute la beauté (et l’impatience ?) de sa jeunesse conquérante et légèrement grave pourtant.

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Madame George Rodenbach (1897) – C’était le temps où les femmes mariées n’avaient plus de prénom…

Cette jolie femme rousse, qui se tourne vers nous en toute confiance est elle aussi captée par le peintre dans un grand naturel de pose, presque alanguie dans sa robe verte sur un fond d’étoffes riches et multicolores qui lui font écrin. L’équilibre presque parfait entre tons chauds et tons froids, les superbes jeux de lumière donnent au tableau à la fois profondeur chromatique et comme un effet de platitude spatiale, dans laquelle femme et arrière-plan ne forment qu’un.

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Féerie intime (1901)

Nous sommes ici dans l’intimité d’une jeune femme qui s’est dévêtue d’une riche robe ornée pour s’alanguir dans un fauteuil profond. Dans la semi-obscurité de la chambre, ses chairs blanches se détachent sur le fond noir alentour, qui ne laisse deviner que des silhouettes d’objets et meubles. Toujours ramené vers sa cuisse nue, le regard ne peut percer le mystère de cette pénombre poétique. Nous voyons, comme dans les tableaux décrits ci-dessus toute la recherche du peintre autour de la lumière, qu’il mènera également au travers de son oeuvre gravée.

Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer ci-dessous un de ses pastels, technique qui permet à l’artiste de porter d’après moi au plus haut son art de la description du corps féminin, dans un réalisme onirique et sensuel que nous ressentons presque physiquement, et de sa capacité à reproduire la lumière dans toute sa beauté frémissante.

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Baigneuse

A côté de ce peintre de l’intimité, nous découvrons également un peintre reconnu pour ses fresques, pour sa capacité à habiller de grands espaces  (Mairies des Ier, IVe et XIXe arrondissements, Comédie Française, Ecole de Pharmacie de Paris, Ambassade de France à Vienne, Autriche et, et, et… Petit Palais !).

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La Vérité entraînant les Sciences

Dans la fresque ci-dessus, visible au Petit Palais, nous sentons tout l’héritage de cette peinture du début du XIXe siècle, encore profondément inspirée par l’Antiquité, mais une Antiquité sous laquelle perce une modernité scientifique propre au siècle de la Révolution industrielle… Formalisme ancien pour nouveaux motifs. Ici, une jeune femme nue, peinte dans des couleurs chaudes qui représentent la pulsion de la vie, empoigne à deux mains (voire à deux bras), un boisseau de lumière pour guider les sciences, comme autant de jeunes femmes, vers l’avenir, les extrayant ainsi de l’obscurité bleutée que nous pourrions assimiler à l’ignorance ou au passé. C’est un mouvement magnifique qui empreint la toile, de la nuit/lune vers la lumière/soleil, du passéisme vers la modernité. Nous sommes en plein Positivisme, dans un univers qu’Auguste Comte n’aurait pas renié (1).

Notons quand même que cet artiste si enclin à inonder ses toiles de lumière a lui aussi un côté sombre, qui s’exprime dans ses gravures. Deux séries, exposées ici, « La femme » et « Elle » nous montrent le côté obscur du peintre (et pas de la force, quoique… 😉 ). La première nous montre une femme qui, après une période de vie heureuse (flirt, maternité) s’enfonce dans la noirceur (viol, prostitution et suicide). La deuxième a pour objet la Mort elle-même, représentée par un squelette, qui s’attaque aux vivants (ci-dessous, dans la série « La femme », « Misère », « Suicide » et « Viol »).

Cela ne donne que plus de force aux images lumineuses des belles femmes vues précédemment et renforce notre sentiment d’être face à un artiste original et complet.

Je dirai que j’adore ces instants de découverte et que je suis sortie de cette exposition, à l’accrochage parfait, soulignons-le, avec l’impression d’être plus riche de quelque chose d’indéfinissable.

Exposition, vous l’aurez bien compris, à voir.

FB

(1) Auguste Comte (1798-1857), philosophe français, père du « Positivisme » qui veut opposer la Science à l’obscurantisme, religieux entre autres (je fais court !).