Voilà le premier film du cinéaste russe Andreï Tarkovski que je viens de voir. Reconnu comme un grand artiste du septième art, ayant d’ailleurs obtenu la palme d’or au Festival de Cannes pour l’oeuvre citée ici. Je suis toujours partagée sur un certain cinéma, dans lequel je rangeais a priori l’auteur cité ici, adulé au départ par une poignée de happy fews, bientôt rangé dans les oeuvres classiques, de celles-qu’il-faut-avoir-vues (et-appréciées, bien sûr), une sorte de classe de films intouchables, panthéonisés, contre lesquels rien ne peut être dit, sous peine de passer pour un imbécile ; de ces oeuvres dont on peut vous parler les yeux dans le vague, avec un air profond, des paroles sentencieuses et empruntées (si, si, regardez bien) quand on veut faire partie de l’élite culturelle… Et ce que je dis là, continuons mon aparté, s’applique également aux autres arts (peinture, sculpture, dessin, littérature, théatre, musique et danse…). A cela je rétorquerai que, bien sûr, il est légitime de ne pas aimer les films de Jean-Luc Godard, de s’ennuyer ferme devant un tableau de Modigliani, de détester les pièces de Samuel Beckett, de ne pas être ému par les symphonies de Beethoven et de ne pas accrocher à la lecture de James Joyce, toutes choses qui me ressemblent. Et j’ajouterai que c’est parfaitement normal : il faut dépouiller toutes ces oeuvres de leurs oripeaux critiques, s’abstraire du regard consensuel que porte sur elle la société (certains par honnêteté, certains pour faire comme si pour être tendance et d’autres pour ne pas montrer que cela est étranger à leur culture). Le maître-mot ici est de penser par soi-même. Attention, cela ne signifie pas pour moi se laisser aller complètement à ses instincts primaires, car la facilité émotionnelle, ou la facilité tout court auront vite fait de reprendre le dessus, pour nous ramener à l’immédiateté des feel-good movies américains, de Michel Houellebecq et Guillaume Musso en littérature, des comédies musicales comme « Notre-Dame » ou de Jeff Koons dans la catégorie arts plastiques (1). Mais au contraire, il s’agit de voir, revoir, re-revoir des oeuvres, écouter, ré-écouter, ré-ré-écouter des morceaux de musique, pour se forger une opinion à soi, accessible d’après moi lorsque nous sommes capables d’avoir un comparatif interne qui nous aidera à trouver ce qui nous plaît (et, cerise sur le gâteau, pourquoi cela nous plaît). Bien sûr, cela demande un effort, tout le monde est également déconcerté la première fois qu’il met les pieds dans un musée par exemple ; pour en comprendre les codes et voir si cela nous intéresse, il faut persister… J’arrête là cette digression généraliste sur l’appréhension de la culture, qui me tenait à coeur.
Pour en revenir au film présent, que j’ai abordé dans un état d’esprit ouvert, je dirai que j’ai été fascinée par plusieurs dimensions qu’il porte, même s’il m’a agacé par certaines autres.
Donnons d’abord une idée rapide du scénario (adapté d’un livre de l’auteur de science-fiction polonais Stanislas Lem). La planète Solaris, faite d’une sorte d’océan électro-magnétique, est une énigme pour les scientifiques, qui ont bâti une station spatiale à ses abords, pour l’observer. Kris Kelvin, psychologue, est envoyé là-bas pour rejoindre les deux scientifiques qui habitent sur place et qui semblent présenter des désordres mentaux importants. Lui-même va se retrouver en plein doute lorsque sa défunte femme Khari, va s’incarner auprès de lui…
C’est d’abord une oeuvre qui s’inscrit dans une période donnée. Andreï Tarkovski (1932-1986) a exercé son art en pleine période soviétique et si son premier film « L’enfance d’Ivan » (1962) a fait penser à un renouveau du cinéma « politiquement correct », il a eu ensuite à faire à la censure, à tel point qu’il est parti en France en 1970 pour continuer son parcours. Il nous laisse sept long-métrages (le terme est particulièrement adapté car le plus court compte 130 minutes 😉 ) atypiques, sorte d’OVNI dans le cinéma de l’époque. Dans la fascination qu’exerce encore son oeuvre, nous pouvons sentir tout cet arrière-plan sociétal, car dans « Solaris« , par exemple, il mêle habilement des éléments de la Russie traditionnelle (ou tout du moins dans la représentation que nous nous en faisons), comme les datchas bordées de bouleaux, les châles crochetés à la main (accessoire très important dans le récit) à des items soviétiques, la course à l’espace, les villes tentaculaires, un idéal scientifique, quasiment scientiste, traversé d’une aspiration au progrès presque palpable. Cette rencontre de cultures a priori opposées, synthétisées ici dans quelques petits riens est fascinante. Notamment dans la manière dont il oppose (il conjugue ?) cette maison traditionnelle perdue dans les bois et les marais à une séquence hallucinante de circulation automobile aux abords d’une grande ville (Moscou ?), dans un style propre au Futurisme italien (2). Notons également la spectaculaire beauté, pure esthétique, avec laquelle il dépeint la station spatiale (comparaison obligatoire avec 2001 l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick sorti en 1968), fasciné par l’objet industriel et la science. Auquel il marie ici des plans sur des tableaux de Brueghel, des partitions de musique classique et une incongrue bibliothèque papier au coeur de cet univers high-tech, comme pour ramener des racines humaines dans ce monde qui est en train de les perdre. Pourrait-on y voir une allégorie du syncrétisme de la culture humaine (science, art ancien) versus un régime politique qui cherche à tout éradiquer ? Sûrement, de mon point de vue…
Il sait également installer un huis-clos étouffant entre les trois scientifiques et leurs « invités », au point d’installer une tension pour nous, qui nous demandons ce qui va arriver ensuite. Nous nous installons dans la beauté des images, dans le suspense porté par l’histoire…
Je dois quand même avouer avoir trouvé les exposés philosophiques qui accompagnent le tout assez secs et désincarnés, parfois verbeux. Ce n’est pas un film d’émotion, plutôt cérébral et sans affect, l’histoire sentimentale n’étant là que pour nourrir le raisonnement d’ensemble.
Pour autant, je me souviendrai de ce film et je le recommande.
FB
(1) Bien que mon neveu et d’autres essayent de me convaincre qu’il y a chez cet « artiste » du quarante douzième degré, je persiste à penser que nous sommes là soit dans le snobisme que j’évoquais plus haut, soit dans une immédiateté d’appréhension. Vous me laisserez libre de ne pas trancher en ce qui concerne mon neveu (et les « d’autres » aussi, d’ailleurs) 😉
(2) Mouvement artistique du début du XXe siècle, né en Italie, qui célèbre notamment la dynamique et le mouvement en lien avec la civilisation industrielle (c’est un peu réducteur, je sais, je n’extraie ici que ce qui est applicable au film, que les puristes me pardonnent).
Intéressante réflexion en début d’article. J’avoue n’avoir pas vu ce film. Seulement le remake qu’en avait fait Steven Soderbergh en 2002 et que j’avais bien aimé. A découvrir donc.
Je garde un très fort souvenir de Stalker…
J’ai toujours voulu voir ce film, car j’avais bien aimé le livre. Je vais donc de ce pas le commander, s’il est disponible. Merci.
Eh bien, je l’ai vu Entièrement. Les deux DVD.
Je ne suis pas transporté d’enthousiasme…