Cinémas – Peter BERG : Deepwater (2016)

deepwater

Allez, me suis-je dit en ce week-end ensoleillé, allons voir un vrai film catastrophe, avec tout ce beau temps qu’on-n’en-peut-plus ;-), enfermons-nous dans une salle de cinéma pour une incursion dans le sombre et le spectaculaire…

Le film nous ramène en 2010, quand une plate-forme de forage de pétrole au large de la Louisiane, Deepwater Horizon, a pris feu et explosé avec plus de 120 personnes à bord.

Nous suivons d’abord les protagonistes dans leur quotidien, notamment celui du héros, Mike Williams, chef électricien (joué par Mark Wahlberg) dans le couple qu’il forme avec sa femme (Kate Hudson). Le cinéaste parvient à gommer l’effet « têtes d’affiche » pour faire ressembler les acteurs à des gens ordinaires, si bien que nous sommes pris, captés par ces gens qui nous ressemblent (tour de force notamment de la part de Kate Hudson que nous avions plutôt connu en « it-girl » dans maintes comédies romantiques). Ajoutez à cela une manière de filmer les outils industriels, port, plate-forme de forage, bateau/tanker toute en acuité, restituant les lignes de force de ces objets et toute leur dure beauté ; tout cela sur fond de paysages hors du commun. Bref, le fim commençait très bien…

Après un prologue plutôt bien mené, où nous voyons les personnages rejoindre la plate-forme, tout se gâte lorsque la catastrophe commence. Car cela devient très conventionnel, ces hommes qui se battent contre un phénomène naturel qu’ils ont créé et qui les dépasse. Eruptions de boue, explosions en tout genre, incendies, certains qui s’en sortent et d’autres pas, actes de  bravoure, tout cela semble codifié ou tout du moins déjà vu.

Je m’étais dit que je n’allais pas écrire sur ce film, oubliable, quand mon attention a été attirée par les sous-titres qui clôturaient la diffusion avant le générique (vous savez, de ceux qui vous disent ce que devient tel ou tel personnage). Et là j’ai réalisé qu’il s’agissait de parler de 11 personnes décédées sur 126 présentes sur la plate-forme, bilan terrible certes, toute mort est tragique, à rapporter à la tragédie écologique créée par l’événement, comparable a minima, à savoir le déversement de 795 millions de litres de pétrole dans le Golfe du Mexique, tuant ou menaçant de mort des dizaines d’espèces animales et végétales. Le film se terminant ainsi, sur des scènes surfaites de retrouvailles dans un hôtel de luxe, sans plus d’hommage à la nature mourante qu’un simple insert de sous-titres, je me suis interrogée sur cette volonté de ne pas aborder cette catastrophe écologique qu’a été l’explosion de cette plate-forme pétrolière.

J’ai déjà eu l’occasion d’aborder ce point sur mon blog. Les Américains, peuple encore pionnier dans l’âme, entretiennent d’après moi avec la Nature une relation complexe ; c’est un vrai adversaire, qu’ils affrontent, comme dans les premiers temps où ils se sont installés dans cette contrée hostile pour eux, et qu’ils craignent à la fois. Le genre du « film-catastrophe », né aux Etats-Unis, prend tout son sens si l’on se rappelle cela. Il s’agit presque chaque fois d’une Nature hostile, comme si elle voulait se venger d’avoir été dominée, barrages qui se rompent, tsunamis irréductibles, tremblements de terre imprévisibles. Chaque fois, l’Homme gagne (après avoir éprouvé bien des angoisses, qui font le fil de ces oeuvres cinématographiques), mais quelque part, au travers de ces films, il a reconnu à la Nature son pouvoir, en lui donnant le statut d’adversaire possible. Ambivalence complexe, qui explique peut-être pourquoi les Etats-Unis, qui prônent le respect de bien des valeurs, s’engagent peu dans les plans de lutte contre le réchauffement climatique. Mais ceci est une autre histoire…

Voilà ce que m’a inspiré ce film, penser qu’il s’agit là d’un item anthropocentré, où un homme vaut bien quelque milliers de cormorans…

Ajoutons également l’ambiguïté qu’il véhicule sur le pouvoir de l’argent, chose finalement assez trouble aux Etats-Unis. Bien que valorisant la réussite financière bien plus que nous (1), le peuple américain se retrouve en difficulté lorsque l’argent contrebat ses valeurs morales. Nous avons déjà vu cela dans maints films, je citerai par exemple « Promised land » (Gus Van Sant, 2012) à propos du gaz de schiste, ou, encore plus emblématique « Erin Brockovich » (Steven Soderbergh, 2000). Et cette tendance est ancienne et traverse toutes les époques du cinéma américain, nous pourrions citer, peut-être comme précurseur, Franck Capra, qui dans « La vie est belle » (1947) dénonce le pouvoir financier incarné par le magnat Henry Potter qui menace la vie d’une communauté entière. Ici, la catastrophe est clairement imputée à British Petroleum (BP) et à ses représentants (parmi lesquels nous avons le plaisir de revoir John Malkovich, trop rare) qui annulent des tests de résistance essentiels pour économiser de l’argent. Peu importe d’ailleurs la véracité de ce point, l’important est la manière dont cela nous est restitué.

Bref, en partant d’un film a priori lisse, nous parvenons à l’inscrire dans plusieurs mouvements de fond du cinéma et de la société américains et cela prend alors tout son sens.

A voir à la lueur de ce que j’ai développé ci-dessus.

FB

(1) Je vous invite à lire un ouvrage fondamental, pour moi tout du moins, d’un des fondateurs allemand de la sociologie, Max Weber (1864-1920), qui dans son ouvrage « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » (1904-1905) essaye de démêler les racines de la différence entre les appréhension catholique et protestante de l’argent. Lecture complexe mais absolument passionnante.