Le lendemain de cet éblouissement qu’a été pour moi l’adaptation du film « Les damnés » par la Comédie Française (et oui, je fais des week-ends thématiques), je suis allée au Vieux-Colombier voir l’autre pièce de la troupe, qui joue en ce moment, « Vania ». Adaptée de « Oncle Vania » d’Anton Tchekhov, auteur à qui je dois une de mes plus belles découvertes littéraires, elle met en scène une histoire de famille dans la Russie de la fin du XIXe siècle.
Oncle Vania, aidé de sa mère Maria et de sa nièce Sonia, gère depuis de longues années, une propriété agricole familiale. Le temps se déroule avec une certaine habitude monotone, rythmé par les travaux des jours et ponctué par de rares visites, comme celle du médecin Astrov. Débarquent alors le professeur Sérébriakov, veuf de la soeur de Vania, père de Sonia (vous suivez ?) et sa nouvelle femme, la très belle Eléna, plus jeune que lui. Le professeur, en effet, n’ayant plus les moyens de vivre en ville, a décidé de se replier à la campagne. Et c’est comme un coup de tonnerre dans le ciel de ces personnages simples et résignés à leur vie de labeur et sans attrait. Car tout va s’emballer, avec pour épicentre cette jeune femme, Eléna, dont Vania et le médecin vont tomber amoureux. Mais nous verrons également se faire jour des rancoeurs et désespoirs enfouis, celui de Vania, vieux garçon qui s’est sacrifié pour le bien-être de sa défunte soeur et celui de Sonia, secrètement amoureuse du médecin, toute en désillusion.
Que dire de ce spectacle, mis en scène par Julie Deliquet, et qui m’a laissée perplexe ?
Commençons par le positif, la troupe. Comme la veille pour « Les damnés », elle est vraiment excellente, d’un naturel confondant, autant d’acteurs portant la pièce tous ensemble ; Dominique Blanc, qui joue Maria, est au diapason avec les autres, malgré la tête d’affiche qu’elle pourrait représenter. C’est vraiment un collectif que nous voyons, soudé et fluide (1), tendu vers le seul but de rendre la pièce intelligible par leur jeu.
Ensuite, ensuite, j’avoue qu’il m’a manqué quelque chose ici… Julie Deliquet dit avoir poli, rajeuni le texte, sans lui enlever rien d’essentiel. Je ne suis pas complètement d’accord, car dans ce que j’ai vu, se jouait un drame quotidien, du niveau du film « Le prénom » (excellent film par ailleurs). A force de vouloir gommer tous les aspects russes de l’oeuvre, je pense que l’on arrive à en retirer une partie de la force qui l’habite. Ainsi, le personnage d’Ilia Téléguine, ancien propriétaire ruiné qui vit aux crochets de Vania, absurde dans son comportement et ses dires, devient inintelligible ici, alors qu’il incarne d’après moi la dimension grotesque et insensée de la vie en général dans la pièce de Tchekhov. Juste plaqué comme un intermède qui viendrait relâcher la tension ambiante, il est un sujet dont la metteur en scène ne sait se saisir pour lui donner toute sa dimension.
Car toute la pièce de l’auteur russe n’est que cela, une certaine démesure, une oscillation entre désespoir, humour (dont nous savons que c’est « la politesse du désespoir ») et éruptions de colère/d’amour/de haine, desquelles la vodka n’est pas complètement absente. Bref, des envolées ontologiques vers l’espoir, une tension vers l’absolu, qui manquent ici totalement.
Pour résumer, spectacle intéressant, mais qui m’a laissée sur ma faim. Et je vais relire in petto l’oeuvre initiale.
FB
(1) De par mes origines, j’oserai une métaphore « rugbystique » : les acteurs de la Comédie Française sont à l’instar d’une excellente équipe de rugby, où tout le monde connaît son poste, fruit d’une vieille habitude à jouer ensemble. Ce qui est rare, même au rugby…