Voilà un film ayant pour sujet un hôtel, comme dans « The Grand Budapest Hotel » de Wes Anderson (2014), et, ici allant bien plus loin, avec comme unique décor la chambre 27 de l’Hôtel Singapura (dans la ville éponyme), où nous allons croiser entre les années 1940 et aujourd’hui des couples en une dizaine de scènes courtes et indépendantes les unes des autres. Avec comme fil directeur l’histoire sentimentale entre un musicien décédé (donc son fantôme, pour être précis) et une femme de chambre, Imrah, qui seront un peu comme les anges gardiens des habitants de cette chambre.
Nous verrons ainsi passer une séquence sur l’amitié (et plus si affinités ?) entre un haut fonctionnaire anglais et un industriel singapourien ; la séance d’éducation sexuelle (hilarante) de quelques très jolies femmes ; la soirée partagée entre un homme et son amour transsexuel qui va se faire opérer le lendemain ; une soirée débridée de 31 décembre où un groupe de musiciens s’adonne à la drogue, à l’alcool et au sexe ; une soirée entre une femme mariée et son amant ; le séjour de deux asiatiques (je n’ai pu identifier le pays), où le jeune homme accompagne sa meilleure amie pour la consoler d’un chagrin d’amour…
Autant de tableaux sensuels (parfois kitsch), centrés sur une chambre, lieu d’abandon et d’intimité, voire de sexualité. Comme chez Wong Kar Wai (1), les personnages sont physiquement sublimés, parfois beaux à se damner. Le corps cesse d’être un objet codifié, pour laisser exploser toute sa séduction. Les identités sexuelles se troublent jusqu’à ne plus laisser de place qu’à cette chair triomphante, qu’il s’agisse d’un simple attouchement ou de l’acte sexuel le plus cru, entre hommes, femmes, femmes en devenir, fantôme… Comme un film vraiment transgenre où le corps exulterait.
C’est un film sur l’histoire de Singapour vue à l’aune de cette chambre d’hôtel, auquel nous assistons. De la fin de la guerre, dans les années cinquante, au futur (les dernières images s’apparentent à de la science-fiction), nous voyons passer des témoins qui nous disent quelque chose de leur époque.
Les différentes histoires qui trament le film sont émouvantes, nous contant les difficultés des sentiments entre les êtres ; sentiments cabossés, toujours un peu malmenés… Il nous dit quelque part l’incroyable chemin qu’il faut parcourir pour aimer et être aimé. Avec une grande délicatesse dans le récit.
Au-delà de cette description de couples qui se font et se défont, c’est une fable sur la vanité de la vie à laquelle nous convie le metteur en scène. La permanence de cette histoire d’amour entre le fantôme et la femme de chambre, la décadence de l’hôtel lui-même, devenu repaire de personnes aux apparences louches, tout nous parle de la vie qui passe, avec une grande élégance.
Je le recommande.
FB
(1) Cinéaste hongkongais à qui l’on doit notamment le fameux « In the mood for love » (2000).