Promenades : Albanie (2016)

A Gustave.

Flag_of_Albania.svg

L’Albanie, Shqipëria (« pays des aigles »), contrée peu connue à la réputation au mieux neutre, au pire entachée par les agissements de la mafia albanaise impliquée, au début des années 2000 surtout, dans divers trafics peu reluisants.

J’ai décidé d’y aller faire un tour en cet été 2016, sûrement attirée par le côté mystérieux de l’endroit et par la réminiscence que j’en avais au travers des oeuvres de l’écrivain Ismail Kadaré (1).

Il n’existe qu’un seul guide en langue française de ce pays, surtout fréquenté par les Albanais qui reviennent au pays pour les vacances (ils sont plusieurs centaines de milliers, hors d’Albanie, près de 300 000 en Italie par exemple ; si l’on compte les Albanais du Kosovo et de la Macédoine, il y a plus d’Albanais hors des frontières que dans le pays même), avec de çà de là quelques étrangers plus lointains, des Italiens, des Français (30 000 l’an dernier)… C’est donc un pays presque vierge que j’ai abordé avec toute l’envie de le comprendre.

Territoire hybride, encadré par l’Italie de l’autre côté de la Méditerranée, la Grèce au Sud, le Kosovo et le Monténégro au Nord et la Macédoine à l’Est, successivement dominé par les Romains (il forme la province d’Illyrie), les Byzantins, les Bulgares, les Serbes et les Turcs, il ne gagne son indépendance qu’en 1912.

Pays sous influence soviétique entre 1944 et 1985, sous le « règne » d’Enver Hoxha, dirigeant de la République populaire d’Albanie, il laisse dans notre mémoire immédiate l’image d’un pays totalitaire, à l’instar des autres pays de l’Est, avec leurs monuments d’inspiration soviétique, incarnés ici par la Place Skanderberg au centre de Tirana, traversée par une quatre voies tellement caractéristique de cette aspiration à une monumentalité qui dépasserait l’homme.

IMG_6436

Musée d’histoire de l’Albanie

Et pourtant… Dans une chaleur torride (35 à 37° C), nous découvrons plutôt un pays méditerranéen, proche de la Grèce ou de la Turquie, sur lequel on aurait plaqué cette architecture froide et déplacée.

Car ici le rythme est Sud… La journée débute tôt le matin, déjeuner vers 15 heures, ville morte jusqu’à 17h/18h et dîner à l’heure espagnole. De l’Italie, l’Albanie emprunte le rituel du café, que l’on peut boire dans les innombrables terrasses qui ponctuent les rues.

Le soir voit des familles entières déambuler le long de ces cafés, recherchant la fraîcheur de la nuit tombante, pendant que des assemblées attablées dégustent des mets simples et frais (tomates, concombres, viande de veau en forme de köfté ou de souvlaki, fromage de brebis semblable à la féta, poissons du jour…). Un délice ! La cuisine italienne est partout présente également et souvent aussi bonne que dans le pays d’origine (Brindisi est à 140 kms de Dürres, à peu près au centre du pays).

IMG_6620

Bérat – la promenade

Précisons quand même que mon escapade m’a conduite de Krüja au nord de Tirana jusqu’à la côte proche de la Grèce, mais que je n’ai pas vu les contrées du Nord, limitrophes du Kosovo ou celles de l’Est, près de la Macédoine, montagneuses les deux qui sont peut-être plus influencées par la culture des Balkans.

Voyager c’est pour moi découvrir la différence. Voir ce qui me sépare de l’autre, ce qui lui donne une personnalité bien à lui qui n’est pas la mienne. Avec cette philosophie minimaliste, tout devient prétexte à dépaysement. Regarder les fruits et légumes sur les marchés, entrer dans des magasins de vêtements, prendre part à la cérémonie du café du matin, examiner les immeubles et leurs terrasses encombrées de mille choses… Essayer de repérer les bus et leurs destinations, rêver de les emprunter pour aller ailleurs…

J’ai lu sur un blog une critique virulente du pays, « sale », « inhospitalier », « sans intérêt »… J’ai l’impression de ne pas avoir vu les mêmes choses. Serviabilité maximale des gens dans la rue ou sur les routes (2), faciles à rencontrer surtout si vous arrivez à dire quelques mots dans leur langue (« Te fallem derit », merci, et « Mirdita », bonjour, sont de vrai sésames) ; simplicité des rapports, derrière lesquels nous sentons un héritage du droit de l’hospitalité, qui fait qu’un étranger doit être accueilli. Nous avons été bien reçus partout (ce qui ne m’arrive pas toujours à Paris, dans mon quartier, avec des gens qui parlent ma langue et dont je connais les codes a priori…).

Et si le pays est « sale », cela fait du bien, dans notre société hyper-clinique où tout doit être aseptisé, au point qu’être malade devient un passage obligé pour qui voyage dans un pays autre, avec nos estomacs fragiles qui ne tolèrent plus grand chose… A noter que nous n’avons déploré aucun problème de santé.

Il en va de même pour notre fameux « principe de précaution », qui tend à faire de nous des êtres assistés que l’on voudrait protéger contre tout. Prenons comme exemple la conduite automobile ou autre. Ici, pas de casque pour les conducteurs de moto, ceinture de sécurité optionnelle dans les taxis (surtout si vous êtes trois à l’arrière), balisage approximatif des trottoirs… Mais tout passe par la responsabilité personnelle du conducteur ou du piéton, à qui il incombe seul de faire attention à l’autre. Et cela fonctionne – j’ai conduit 500 kms sur ces routes et j’ai pu voir comment les conducteurs peuvent faire face à tous les aléas, vache qui empiète sur la route, camion garé sur la chaussée, piétons traversant une quatre-voies, voiture s’arrêtant en pleine voie d’une autoroute pour prendre un passager, automobiliste pressé créant une troisième voie médiane dans une deux voies pour dépasser un véhicule plus lent… La circulation fluide et décontractée, loin du stress de nos contrées, permet de faire face à à peu près tout. Notons que la Mercedes est ici reine, voiture solide capable d’affronter les innombrables chaussées défoncées du pays (3).

Pays récent, qui a mis des millénaires à se constituer, voisin et semblable au nôtre par bien des aspects et si loin de nous par d’autres,  encore à l’abri du tourisme de masse, il gagne à être connu, offrant nombre de paysages magnifiques et de richesses artistiques, comme vous pourrez le voir sur les images qui suivent.

J’ai adoré ce voyage.

FB

(1) Né en 1936, écrivain engagé, il est l’auteur de maints romans de très belle facture, qui nous donnent à voir son pays dans toutes ses mutations. Je recommande, c’est un des auteurs qui m’a le plus marquée dans mon jeune âge.
(2) Bien que mise en garde à maintes reprises par les sites spécialisés, j’ai décidé de louer une voiture et de m’aventurer sur les routes… Inénarrable ! Des chemins défoncés, des conducteurs qui font, selon nos normes à nous, n’importe quoi – mais finalement très organisé quand on comprend comment cela fonctionne.
(3) Rassurez-vous, une grande partie des routes est en état correct ou très bon.

IMG_6397

Tirana – L’aéroport

IMG_6464

Immeubles de Tirana

IMG_6406

Place du Président Wilson

IMG_6494

Place Skanderberg

IMG_6479

Tirana – Marché central en reconstruction

IMG_6556

Tirana – Monument conçu pour Enver Hoxha par sa fille

IMG_6583

Krüja – Vue depuis la forteresse

IMG_6630

Bérat, ville ottomane et ci-dessous, la citadelle

IMG_6655

Bérat – Icône

IMG_6685

Apollonia – Site antique

IMG_6721

Vlöra – La plage

IMG_6723

IMG_6754

Riviera albanaise : de Vlöra à Dhërmi

IMG_6796

Vue depuis un café sur la route

IMG_6797

Idem

IMG_6779

Dhërmi

IMG_6781

Et les peintures murales de l’église