Cinémas – Lucas BELVAUX : 38 témoins (2012)

38 temoins

Voilà un film qui m’a laissée partagée. De Lucas Belvaux, réalisateur belge né en 1961, maintes fois récompensé, notamment pour le film dont il est question ici, j’avais adoré la trilogie de 2001 (« Cavale », « Un couple épatant » et « Après la vie », que je vous recommande chaleureusement), les autres films m’ayant laissé un peu mitigée (« Pas son genre » en 2013 ou « La raison du plus faible » en 2006, par exemple). C’est un cinéaste engagé, courageux, presque pur, qui aime à dénoncer, de manière assez subtile, les biais de notre société. Il met ainsi en scène des faits sociaux à des fins de démonstration, pour nous faire saisir certaines tendances un peu dérangeantes de notre monde (le choc des classes socio-culturelles au travers d’une histoire d’amour dans « Pas son genre« , la rébellion des défavorisés dans « La raison du plus faible », les ravages de la drogue dans « Après la vie », l’absence de rédemption après la prison dans « Cavale »…).

Ici, il veut dénoncer l’indifférence d’un groupe de gens lambda face à un crime, dont ils ont été témoins sans intervenir.

Au Havre, un soir, une jeune femme, Sabine Martel, est poignardée en pleine rue par un inconnu. Elle arrive à se traîner jusque dans le hall de son immeuble où elle reçoit d’autres coups de couteau mortels. La police dépêchée sur les lieux essaye de recueillir des témoignages de la part des habitants des immeubles alentours, mais personne n’a rien vu ni entendu. Jusqu’au moment où Pierre Morvand, pilote de bateaux, décide de témoigner et décrit les hurlements de cette femme en train de se faire tuer. L’enquête repart alors, sous le pilotage du procureur, avec l’hypothèse de mettre les 38 personnes concernées en examen pour non assistance à personne en danger.

L’exemplarité du sujet ne peut que faire respect. Nous amener à réfléchir sur notre interaction aux autres, dans notre milieu ambiant où nous constatons une désaffection importante pour ce qui peut arriver à nos semblables (un exemple récent : ayant pris le métro ce week-end avec mon père âgé, je n’ai vu personne se lever pour céder sa place, et nous parlons ici de la même chose ; pour faire court, j’ai droit à tout et je ne dois rien à personne, voilà la tendance en filigrane des deux récits, mon anecdote et le film). Il est quand même glaçant de penser qu’une personne peut se faire assassiner en bas de chez nous (les cris que pousse la victime sont sans ambiguïté sur ce qui est train de lui arriver) sans que personne n’intervienne ; cela interroge sur notre capacité à nous indigner sur ce qui se passe ailleurs, quand nous nous révoltons contre des faits divers de l’autre bout du monde, c’est facile, cela ne nous coûte rien à titre personnel et nous avons ainsi notre conscience bien tranquille (1). Tandis que se mettre en risque pour aider quelqu’un près de nous, c’est souvent beaucoup plus difficile ; et je ne m’abstrais pas de cette réflexion. En cela c’est un film tout à fait honorable, qui nous appelle à la réflexion intérieure, à nous confronter à nous-mêmes dans notre vérité profonde, cachée et intime.

Notons la beauté de la mise en scène et surtout de la photographie, qui transfigure la ville du Havre en autant d’images spectaculaires,  transformant en beauté pure des vues d’immeubles, de port, de mer.

Remarquons également la distribution, le metteur en scène sachant à chaque fois  s’entourer de pointures : même si je n’ai pas été convaincue par Sophie Quinton, qui m’avait déjà laissée mitigée dans « Qui a tué Bambi ? » de Gilles Marchand, j’ai apprécié de voir Didier Sandre (dans le rôle court du Procureur) et Nicole Garcia, en journaliste dérangeante. Yvan Attal, jouant tout en retenue est convaincant sans plus.

Malgré tous les atouts cités ci-dessus, le film arrive rarement à décoller, trop académique. Il faut quand même remarquer quelques scènes qui font exception, notamment celle de la reconstitution du meurtre, magnifique et terrifiante…

A voir mais avec réserves.

FB

(1) Je me souviens que quelqu’un que je connais m’avait un jour interpellé pour savoir ce que j’aurais fait dans un camp de concentration nazi ; j’avais été étonnée par la réponse rapide faite par l’assemblée, qui protestait qu’elle aurait été juste et probe, ne volant pas la nourriture de l’autre, l’assistant en cas de besoin etc. etc. Pour ma part je ne sais pas et depuis toutes ces années, je ne saurai répondre à cette question ontologique. Qu’est-ce qui l’emporterait chez moi, le poids de la conscience ou la survie ?