Théatre – George FEYDEAU : Un fil à la patte (2016)

un fil a la patte

Jubilatoire ! Voilà le mot qui résume pour moi le spectacle que je viens de voir à la Comédie Française, à partir d’une pièce française de la fin du XIXe siècle. Il s’agit ici de ce que l’on appelle le « vaudeville » (1), un genre théatral porté ici à son apogée.

Résumons – si nous le pouvons – l’intrigue. Fernand de Bois d’Enghien, jeune aristocrate désargenté, est l’amant de Lucette, une jolie chanteuse de café-concert. Il doit se marier le soir-même à Viviane, la fille d’une baronne, et va chercher désespérément tout au long de la journée à rompre avec sa maîtresse. Trop lâche (ou amoureux ?), il va essayer de la jeter dans d’autres bras pour s’en débarrasser…

Pièce nerveuse et resserrée – tout se passe sur vingt-quatre heures – qui ne s’attarde pas sur la psychologie des personnages, loin de là, et ne cherche à poser aucun principe moral ni aucune critique sur la société de l’époque, elle n’est qu’un jeu d’interactions très drôles entre les différents protagonistes. Tout est rythme ici, dialogues incisifs, jeux de mots qui jaillissent tels des fusées, trajectoires des personnages qui se cherchent ou ne veulent pas se croiser, gestuelles et texte spirituels calibrés au millimètre pour produire le rire. Ne cherchant pas autre chose que ces effets mécaniques, l’oeuvre atteint parfaitement son but, faire rire sans arrière-pensée (si ce n’est, convenons-en, quelques intuitions sexuelles qui restent cependant très sages au vu de notre monde actuel…).

Pour sublimer ce texte – assez primaire, convenons-en, sans critique de ma part car le sens est ailleurs – et donner tout son relief à la pièce, il faut une troupe qui se connaisse et sache fonctionner ensemble. C’est exactement le cas de la troupe du « Français », rompue à l’exercice de jouer au diapason. Et, avec de tels comédiens, les deux heures du spectacle deviennent un vrai régal (2). Car la fluidité de leur jeu fait que tout passe et s’enchaîne dans un tourbillon de situations cocasses ; notons qu’ils interprètent d’ailleurs plus que les mots écrits, créant maintes situations hilarantes en marge du texte. Ils sont tous plus qu’impeccables, donnant à voir toute l’amplitude de leur art en brodant des à-côtés par rapport à la ligne principale, telles des variations qui viennent enrichir la partition mère, tout cela dans une harmonie rythmique jamais démentie.

Je voudrais quand même faire mention, au travers de cette excellente troupe collective, de Christian Hecq. Déjà remarqué dans la pièce d’Eugène Labiche « Un chapeau de paille d’Italie » où il se cramponnait à « sa plante » (voir chronique sur ce blog), il est ici exceptionnel dans sa performance de clerc de notaire. Dans la lignée des Laurel et Hardy ou Buster Keaton, il plie son corps à tout un tas de contorsions irrésistibles (je me demande même comment il s’en sort physiquement). Je vous recommande de voir la vidéo jointe (en notant que je l’ai vu aujourd’hui encore bien meilleur…)

Tous les spectateurs, même les plus jeunes, étaient en joie, applaudissant à tout rompre à la fin.

J’ai passé un moment merveilleux.

FB

(1) Mot issu du recueil de « Val-de-Vire », localité du Calvados, oeuvre réunissant au XVIe siècle, chansons et pièces de théatre. Le mot s’est alors déformé pour devenir celui que nous connaissons, qui désigne une pièce de théatre pleine de rebondissements, sans portée morale particulière et parfois un peu grivoise. L’oeuvre chroniquée ici en est un parfait archétype.
(2) J’ai compris pourquoi la pièce est reprise de saison en saison, ce qui est exceptionnel.