Cinémas – Anne FONTAINE : Les innocentes (2016)

les innocentes

1945, Pologne. Mathilde Beaulieu, auxiliaire de la Croix-Rouge française, rencontre Soeur Maria. Touchée par l’angoisse de la religieuse, elle la suit dans le couvent où elle réside, à côté de la ville et découvre là une situation hors du commun. Quelques mois auparavant, le couvent a été envahi par des soldats de l’Armée russe, qui ont violé les religieuses, mettant enceintes une partie d’entre elles ; et ce à quoi est conviée la jeune Française, c’est à un accouchement… Elle va tout faire pour les aider.

Ce film m’a laissée mitigée, mais curieusement m’a également beaucoup touchée.

Il met en scène des variations vertigineuses sur la femme, son rapport à l’homme et à l’enfantement. Ces épouses du Christ, souvent vierges, sans vie sexuelle antérieure, ont rencontré le sexe dans les conditions les plus épouvantables qui soient, le viol, et se voient forcées de porter des enfants qui ne peuvent être a priori que des anomalies dans leurs  vies. Au-delà de cela, l’irruption des soldats dans le couvent marque le début d’un effondrement. Chaque religieuse va essayer de réagir comme elle le peut, dans cet attentat qui touche à sa chair et éprouve la foi qu’elle a en Dieu – toutes proportions gardées, nous sommes dans le même type de traumatisme que  ce qu’a été le Nazisme pour les Juifs par rapport à leur religion : comment continuer à croire après ? Et que devenir, une nonne ou une mère ? La mère abbesse (interprétée par la talentueuse Agata Kulesza, déjà remarquée dans « Ida » de Pawel Pawlikowski en 2014) est prête à tout pour restaurer l’ordre, car elle sait le vide qui attend ces jeunes filles si elle les rend à la vie séculière. Comme une réaction en chaîne, l’horrible faits divers originel conduit à des arrachements successifs, arrachement des nouveaux-nés aux ventres des génitrices, arrachement des bébés aux bras de leurs mères, conduisant à des actes extrêmes, suicides, fuites et meurtres déguisés… Au milieu de la tourmente, une religieuse, Soeur Maria (Agata Buzek, remarquable) va, avec un bon sens hors du commun, essayer de sauver la situation pour restaurer la paix. Finalement pas si loin des convictions de la Française, bien que tout les oppose a priori, elle va oeuvrer dans le sens de la vie, quitte à faire des entorses à la religion si elle ne peut pas faire autrement.

Anne Fontaine parvient à s’abstraire des débats actuels autour de la religion pour ne porter aucun jugement sur ces femmes qui ont choisi (ou non) de s’enfermer à vie au nom du Christ. A notre époque, je pense que l’Eglise catholique subit des coups de boutoir qu’elle n’a pas mérité (je suis catholique de naissance, si je peux dire, mais non pratiquante ; les propos que je tiens ici sont neutres par rapport à cela), lever de boucliers contre ses pratiques, que tout le monde voudrait changer (par exemple les positions qu’elle prend sur le mariage des prêtres, la contraception et autres), sans se rendre compte qu’elles sont fondatrices de son dogme, je tiens à rendre grâce à cette réalisatrice qui ne s’inscrit pas dans l’air du temps sur le sujet.

A l’actif du film, signalons également ces beaux portraits de femmes que la réalisatrice nous donne à voir. Jeunes femmes (les plus âgées restent plutôt dans l’ombre) presque idéalisées dans leur  beauté ontologique, (presque) sans maquillage, elles incarnent une féminité douce et magnifique, qui fait corps contre le monde abrupt des hommes.

Disons quand même qu’il s’agit d’un film trop sage pour les faits qu’il raconte et qui frise parfois l’académisme. Ces belles images de couvent dénudé, baignant dans une froide lumière d’hiver, nous avons l’impression de les avoir vues des centaines de fois. Il est vrai qu’il est bien facile de faire de l’esthétisme avec les cornettes blanches, grises et noires sur fond de lumière blafarde… Il en va de même pour la reconstitution de la vie de l’héroïne dans l’hôpital de campagne où elle travaille, nous frôlons le déjà-vu à chaque scène…

Il manque à cet opus une brin de passion qui l’aurait décentré de son sage propos, inspiré d’une histoire vraie, à laquelle nous sentons la réalisatrice se raccrocher pour ne pas en faire plus, comme si elle voulait rester neutre. Mais ce genre de récit demande justement, à mon avis, un traitement de choc qui permette d’éviter les clichés.

C’est donc un film sage, un peu « qualité française », mais qui pose des questions de fond sur la féminité.

FB