Il est certains films qui me laissent impressionnée, en général ceux qui nous content des histoires simples, sans esbroufe, avec une cohérence et une subtilité qui en font toute la densité et toute la réussite. C’est un peu comme en cuisine, les plats les plus difficiles à réussir sont souvent les plus simples (j’avais lu quelque part les propos d’un grand chef qui notait cela en parlant de l’omelette ; et rappelez-vous de la célèbre purée de Joël Robuchon) ; quand vous multipliez les sauces, les nappages et les épices, (pour continuer le parallèle, disons un film de la série « Marvel »), c’est plus facile. Arrêtons là la métaphore culinaire, je pense que vous aurez compris 😉
Fatima, Française d’origine marocaine vit avec ses deux filles de 15 et 18 ans. Elle est séparée du père, qui vit toujours en France et s’occupe de temps à autre de ses filles. Elle fait des ménages pour gagner sa vie et permettre à ses filles de réussir.
A partir de cette trame ténue et périlleuse (tant de chausse-trappes s’ouvrent devant le réalisateur sur ce récit qui touchent aux sujets brûlants de la vie des classes populaires, de l’intégration, sur fond de problèmes liés à la radicalisation musulmane…) le metteur en scène, adaptant les livres de Fatima Elayoubi, construit un récit sobre et -presque- neutre, ne versant jamais dans la démagogie ou le sentimentalisme. Nous sentons qu’il ne surplombe pas les personnes qu’il nous décrit, mais qu’il est à leurs côtés et c’est déjà beaucoup.
Et pourtant, sans insister, l’air de rien, il nous dresse un portrait de l’intégration des populations issues de l’immigration maghrébine. Il campe en de petites scènes ramassées des détails de la vie de Fatima et de ses filles, sans misérabilisme. Au travers de ces tableaux, il arrive à nous faire passer les situations difficiles auxquelles sont confrontées ces personnes, la location d’un appartement, le ménage chez des personnes aisées, la difficulté à s’insérer dans une réunion de parents d’élèves quand on ne parle pas bien la langue, le cours de français basé sur la reconnaissance des mots « prénom », « nationalité », « nom » (je n’invente rien !)… Et à côté de cela, formulé avec beaucoup de finesse, sans s’appesantir, nous voyons des morceaux de vie heureux, les filles découvrant la vie amoureuse, la rage de l’aînée à réussir sa première année de médecine, les relations tendues ou complices entre mère et filles, la relation entre le père et sa plus jeune fille. Même si tout cela nous dit aussi la fracture entre les deux générations, la mère, voilée, qui ne parle que l’Arabe même si elle comprend le français, et ses filles bien plus intégrées qu’elle et prêtes à sauter par-dessus les interdits de leurs parents ; comme tout fils ou fille qui veut aller plus loin que ses parents, car le film nous montre qu’il n’existe dans le fond que peu de différences entre des personnes qui ont toujours vécu en France et celles qui ont quitté leur pays pour y vivre. Chacun veut que ses enfants réussissent, veut à la fois les protéger et les lancer dans la vie pour qu’ils fassent leur chemin.
Parmi les difficultés à s’insérer dans une société différente, le film dit aussi beaucoup sur les résistances du milieu immigré de même origine, avec ces femmes qui, à l’instar de ce qui se passe dans toute communauté (pensons à nos villages français), observent tout, promptes à critiquer les « mauvais choix » (comme celui de la fille aînée qui habite seule pour faire des études). Car l’intégration suppose certes une acceptation par le pays d’élection, mais également un arrachement des origines (1), très bien montré ici.
Disons un mot de la mise en scène, qui concourt à la dynamique du film, des instants captés qui ne vont pas forcément jusqu’à la fin, qui nous laissent deviner tous seuls, comme des grands, ce qui est en train de se passer ou va advenir ; ainsi quand Fatima écrit dans le train de droite à gauche, nous comprenons qu’elle sait écrire, mais seulement l’arabe ; ainsi également ces scènes de flirt des jeunes filles, dont nous ne verrons pas la fin…
Avec cette héroïne magnifique, Fatima, campée par Soria Zeroual, qui est au centre du film, dans le sens que toutes les autres scènes ne font que ramener à elle, le cinéaste nous dresse un portrait sensible, bienveillant et tout en nuances d’une mère et de ses deux filles et de leur contexte de vie.
C’est superbe et à voir.
Et tant que vous y êtes, lisez le livre de Magyd Cherfi « Livret de famille », dans lequel le leader de « Zebda » nous conte sa jeunesse, superbe aussi.
FB
(1) Lire à ce propos le très intéressant roman « Le thé au harem d’Archi Ahmed » (1988) écrit par Mehdi Charef.