J’avoue avoir un engouement certain pour les porcelaines et céramiques d’Asie, objets si frêles qui nous donnent à voir l’imperfection dans toute sa perfection. Non, ce n’est pas ici une figure de style, mais une réalité esthétique vue de moi : quelque chose de trop parfait devient une circularité enclose sur elle-même qui ne vous laisse pas entrer (cela vaut également pour les personnes) ; la moindre faille, la moindre fragilité, le plus petit défaut implantés dans la beauté pure lui font comme un écrin qui la fait briller de mille feux et la rehausse (1).
La Corée est restée longtemps un pays bien mystérieux pour nous autres Occidentaux et ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’a été découvert le fait qu’il existait un art de la céramique propre à cette contrée (et par ailleurs très apprécié des Chinois et Japonais voisins). Une belle exposition, assez ramassée, nous donne à voir au Grand Palais en ce printemps 2016, quelques uns de ses chefs d’oeuvre.
Très pédagogique (même sans prendre l’audioguide, mais libre à vous), elle retrace les principales étapes de l’histoire du pays utiles à la compréhension des objets qui nous sont présentés, les trois royaumes Silla, Goguryeo et Baekje (-57 Av. JC – 668), l’unification sous l’égide du royaume de Silla au VIIe siècle, qui inaugure trois périodes pour cette céramique, celles de Goryeo, de Buncheong et de Joseon.
A la première époque, celle de Goryeo, les poteries se parent de petits motifs géométriques, ou représentant des fleurs, par exemple. Et surtout apparaît à partir du Xe siècle le céladon, ce bleu-vert si particulier, dans des pièces qui demandent une maîtrise technique très importante. Se voulant pareil au jade, cette pierre emblématique de l’Asie, à la fois rare et difficile à travailler, ces vases et autres nous frappent par leur beauté intrinsèque, cette idée superbe d’imprimer dans des objets quotidiens (réservés à l’élite, tout de même) toute une poésie faite de symboles quotidiens, nés de l’observation de la nature ; là un crabe, là une grue, là de fines tiges ployant sous le vent, là des pivoines épanouies… Remarquons d’ailleurs la rémanence des motifs et formes tout au long de l’histoire de cet art/artisanat ; bien que peut-être qu’un étranger à notre culture pourrait trouver lui aussi un fil conducteur évident aux évolutions artistiques qui nous ont traversé ?

Jarre sur pied, Silla Ve siècle

Brûle parfum, céladon, Dynastie Goryeo, XIIe siècle

Assiette céladon, Dynastie Goreyo, XIIe siècle

Verseuse en forme de dragon, céladon, Dynastie Goryeo, XIIe siècle

Vase à décor de pivoines, céladon, Dynastie Goryeo, XIIe siècle

Boîtes à cosmétique, céladon, Dynastie Goryeo, XIIIe siècle

Vase, céladon, Dynastie Goryeo, XIIIe siècle
Un vase nous interpelle (voir ci-dessous), dans son syncrétisme étonnant mélangeant Dieux romains (réminiscence de Bacchus au travers de ces enfants attrapant des grappes de raisin), symboles coréens (les enfants, la vie) et forme issue des arts de l’Islam, qui montre elle la vitalité des échanges commerciaux à l’époque. Et c’est très stimulant intellectuellement de penser autrement que par taxinomie (d’un côté l’Occident, de l’autre l’Orient) mais de se retrouver face à un monde perméable aux influences, qui ne peut se diviser en chapitres de livres, tels que nous ont été inculquées ces connaissances, divisées par périodes, zones géographiques et autres frontières purement théoriques (personnellement j’adore être surprise par ces connexions occultes, qui nous montrent que nous ne sommes pas si différents les uns des autres ; peut-être un jour explorerai-je davantage cette idée, pourquoi pas…).

Aiguière et bassin, céladon, Dynastie Goryeo, XIIIe siècle
Vient ensuite la période de production des Buncheong, typiques de la céramique coréenne, des « céladons poudrés », en traduction littérale, pièces à base verte parcourue de blanc, comme vous pouvez le voir ci-dessous. Très particulières, ces céramiques qui peuvent paraître plus grossières par rapport à l’époque précédente sont en fait d’une grande délicatesse, recherche dans les motifs, la forme, incisées, parées d’une glaçure parfois inégales, elles m’évoquent tout ensemble la beauté et l’humilité. J’aime beaucoup.
Vient ensuite la période Joseon, porcelaine blanche parée de motifs, le plus souvent bleus, que je trouve moins intéressante, à l’exception de ce que vous verrez ci-dessous, objets datés du XVIe au XIXe siècle, qui recèlent encore cette magie que j’ai trouvé dans les pièces précédentes.
Voilà un art méconnu, d’un pays qui l’est encore plus, et qui se trouve être beaucoup plus évolué que ce que nous pourrions penser : savez-vous par exemple que c’est en Corée qu’a été édité le premier ouvrage imprimé dans le monde, en 1377 (pour Gutenberg, il faut attendre 1454…) ?
C’est surtout pour moi une source de beauté pure ; face à ces objets, comme face à leurs homologues chinois et japonais, il me semble ressentir une spiritualité profonde, comme s’ils étaient inscrits dans un système global de compréhension et de restitution du monde. Et je suis émue à chaque fois.
J’espère vous avoir convaincu d’aller voir l’exposition… Celle-là ou d’autres !
FB
(1) « Nos défauts font ressortir nos qualités, comme les ombres la lumière. Un homme sans défauts serait un homme imparfait ; car rien ne réfléchissant sa perfection, elle deviendrait invisible et serait comme n’étant pas. Le mal est également, dans l’univers, l’ombre nécessaire du bien » (Auguste Guyard 1808-1882). Je trouve cette citation très conforme à ce que je veux dire.