Que voilà un livre mal aimable ! Non pas de ces livres qui ne font pas exprès et que l’on n’aime pas. Non, c’est semble-t-il ici tout le projet de l’ouvrage que de se faire détester. Et j’avoue que je n’avais jamais rien lu de tel jusqu’ici.
Maurice Pons, né en 1927, est un auteur à part dans la littérature française, peu connu du grand public, mais donnant lieu à de vrais engouements de la part de ses lecteurs (il paraît notamment que Malcolm Lowry était un grand admirateur, ce qui n’est pas, à la réflexion, si étonnant que cela, de la part de cet auteur qui frayait tant avec le désespoir).
Nous sommes en effet ici dans un univers particulier où tout est laid et méchant, à un point que l’on ne peut imaginer, pour nous conter une histoire presque répulsive.
Siméon, un étranger, arrive dans une vallée battue par la pluie. Nous saurons qu’il cherche un endroit pour écrire à propos de sa sœur, morte dans un camp, et il va se fixer dans ce lieu perdu où habitants et nature sont d’une rare hostilité. Cœur pur isolé au milieu de la bassesse, de la bêtise et de la laideur, il ne lui arrivera rien de bon, on peut s’en douter, le récit le conduisant jusqu’à une fin écrite presque dès le début.
Tout est ignoble ici, dans ce monde décontextualisé (à part l’allusion aux camps, nous ne savons pas où nous sommes ni à quelle époque), la nature n’est que boue puante ou gel coupant, les gens sont mesquins et sales, vivant presque comme des bêtes, la seule subsistance est à base de lentilles, qui fournissent repas et alcool, comme si la nature s’était recroquevillée sur elle-même pour ne plus donner que cet unique fruit. L’auteur excelle à accoler à toute image qui pourrait faire surgir une jolie chose un adjectif négatif, tuant ainsi dans l’œuf toute beauté possible. Et il est un maître en la matière, ciselant ses images pour construire ce monde si repoussant. C’est du grand art.
Seule tache de blancheur virginale dans cette horreur sans fond, les feuilles de papier sur lesquelles Siméon veut écrire son histoire. Elles se détachent, candides et pures, sur la noirceur de ce monde et resteront inemployées, comme inadaptées. Car Siméon n’écrira pas son livre, remettant de jour en jour cet important travail, dérangé et bousculé par l’environnement. Et nous pouvons nous demander si, finalement, l’auteur ne veut pas nous dire que la littérature se meurt dans le monde tel qu’il est ici ; mais ne voudrait-il pas parler de notre monde à nous ? Siméon, d’abord vilipendé, meurtri et amputé dans sa chair, représente une victime expiatoire toute trouvée à la violence abrupte de ce village sans éducation ni ouverture d’esprit. C’est d’un équilibre menacé dont il est question ici, dans cet ouvrage en forme de parabole, qui nous dit la fragilité de la culture face à la barbarie.
Je ne le relirai sans doute jamais, c’était trop dur, mais je ne regrette pas.
FB
Vous m’avez mis l’eau à la bouche chère rue de Provence .
Une vraie pierre, ce Maurice… 😉