Voilà un film atypique dans son format et sa réalisation ; documentaire de presque six heures en tout, il a pour ambition de conter, au travers de la vie au quotidien d’une famille iranienne, ce qu’a été l’invasion américaine décidée en 2003 par le Président George Bush père.
L’iranien Abbas Fahdel, le réalisateur, arrivé en France à l’âge de 18 ans, est reparti en 2003 dans son pays d’origine pour suivre avec sa caméra sa famille au jour le jour à Bagdad. Il nous livre ici le fruit de ce travail, un documentaire qu’il découpe en deux parties, l’avant et l’après arrivée des forces américaines. Formé au cinéma en France, sous l’égide notamment de Jean Rouch et d’Eric Rohmer, il nous permet de découvrir ce pays que nous connaissons si mal et qui a pourtant été au centre de la géopolitique récente.
C’est un film qui prend le temps (1), celui de montrer les environnements, celui de laisser parler les protagonistes, frère, belle-soeur, neveu, nièce, personnes croisées au gré des pérégrinations. Pas de recherche de témoignage ici, juste l’impression que le réalisateur écoute ceux qu’il rencontre au hasard, sûrement influencé par ses maîtres cités ci-dessus, qui sont des références dans un cinéma que l’on pourrait qualifier de « naturaliste » (2). Il crée ainsi une chronique presque banale sur fond d’événement spectaculaire, privilégiant le fil continu de la vie au jour le jour sur les incidences de la guerre.
Et c’est tout à fait surprenant. Pour nous qui n’avons vu de ce conflit que les moments forts rapportés par nos médias, qui ne nous donnaient à voir que le drame et les instants tragiques (ici comme ailleurs, toujours la recherche du spectacle), nous sommes sans cesse décalés dans notre perception. Comment une famille peut-elle continuer à vivre dans cet univers, qui nous paraît, vu de loin et rapporté par fragments, guerrier et mortel ? C’est le verso de l’histoire auquel nous sommes conviés ici, témoignage saisissant de la résilience humaine.
Tout n’est pas rose, cependant, les journées sont ponctuées de morts, de disparitions, de fuites (la famille du réalisateur ne sera d’ailleurs pas épargnée, comme nous le verrons à la fin de son documentaire). Les rues montrent nombre d’immeubles dévastés ou incendiés (principalement ceux qui abritaient des fonctions d’Etat, aux noms improbables (3)), aller à l’université devient plus compliqué… Pour autant la vie, dans ce contexte difficile, semble suivre les mêmes rythmes qu’auparavant, l’école, la préparation des repas, les moments de télévision…
Nous aurons pu voir au passage l’endoctrinement en action, au travers de l’auto-célébration de Saddam Hussein, vision surprenante d’un homme qui se met en scène à l’instar d’un Dieu ; clips télévisés avec chansons, rites centrés autour de sa personne, tout cela est à la fois comique et terrifiant.
C’est donc un film vraiment intéressant, à voir (mais je suis d’accord, il faut avoir le temps).
FB
(1) Chose tellement rare de nos jours et d’autant plus appréciée ici.
(2) Que les Ecoles de cinéma me pardonnent, cette appellation n’est peut-être pas accréditée, mais je la trouve très juste.
(3) Avec notre « Secrétariat d’Etat à l’Egalité Réelle », nous ne sommes vraiment pas loin 😉