J’avais lu jusque-là deux livres de Jean Echenoz, « Je m’en vais » (Prix Goncourt 1999) et plus récemment « 14 » (2012), qui ne m’avaient pas laissé un souvenir impérissable. J’en garde une impression ténue, comme on peut dire de ces ouvrages où trop de subtilité finit par toucher à la vacuité. C’est en effet un exercice bien périlleux auquel se livrent bien des écrivains français actuels, qui essayent de faire naître d’un récit finalement assez limité toute une palette d’impressions fines et décalées ; quand cela fonctionne, c’est parfois magnifique, comme chez Maylis De Kérangal, Christian Oster ou Bertrand Belin, pour n’en citer que quelques uns. Mais dans certains cas, ces petites nuances ne parviennent pas à construire quelque chose en nous, et les pages sont sitôt tournées, sitôt oubliées ; et comme le scénario est souvent infime, différant en cela d’autres littératures, comme celle des Etats-Unis, par exemple, dont les auteurs savent mettre en scène des histoires parfois spectaculaires, nous ne pouvons nous raccrocher à rien et nous sommes laissés là, abandonnés, par une histoire sans relief et une écriture qui ne parvient pas à nous accrocher. Naufrage…
C’est donc avec circonspection que j’ai ouvert le dernier opus de cet auteur si célèbre, poussée par Pierre, mon libraire. Et j’en ai été ravie.
Une fantaisie émane de cet opus, digne de Jacques Roubaud ; tout est liberté, de ton, de description, de narration, comme si cet auteur « se lâchait » dans la drôlerie, pour nous emmener dans une histoire improbable, celle de Constance, une élégante parisienne, qui va être kidnappée à des fins de rançon, ou pour l’utiliser comme agent des services secrets ? Nous ne savons pas trop et ce n’est pas très grave. Car tout ne va être que rebondissements déroutants, touchant parfois à l’absurde… Une histoire légère sur un sujet a priori sérieux, avec maintes digressions de l’auteur en voix off, qui ne font que rajouter à l’aspect facétieux de l’ensemble.
Tout cela bien sûr porté par une langue parfaite qui se permet des incursions dans le « parler populaire », si je puis dire, mais avec une ligne de force linguistique qui ne dévie jamais.
C’est un livre réjouissant et plein de subtilité, dans lequel nous sentons bien sûr des intentions parodiques évidentes (James Bond n’est pas loin à certains moments), comme un croisement improbable entre le roman noir et la chronique drôlatique. Je dois reconnaître à Jean Echenoz une vraie maestria pour décrire et faire exister ses personnages en quelques traits de plume, un peu comme Virginie Despentes (1). Ainsi, Lou Tausk, le mari de Constance, né Louis-Charles Coste, nom qui ne cadrait pas vraiment avec ses aspirations d’extrême-gauche… Mais aussi Pélestor, parolier dépressif, improbable second de Tausk dans leurs succès musicaux… Autant de personnages originaux qui prennent vie grâce au grand savoir-faire de l’auteur.
Je ne peux donc que vous recommander ce roman.
FB
(1) Notamment dans sa trilogie « Vernon Subutex », voir chronique sur ce blog.