Cinémas – MAIWENN : Mon roi (2015)

mon roi

Quoi de plus banal a priori, en guise de scénario, qu’une histoire d’amour ? C’est un des motifs les plus usités au cinéma, à côté du cinéma d’aventure (avec ses branches actuelles autour de la science-fiction et du film catastrophe), mille fois porté à l’écran avec plus ou moins de bonheur.

C’est bien cela dont il est question ici. Tony (Emmanuelle Bercot) à la suite d’un accident de ski où elle s’est gravement endommagé le genou, est admise dans une clinique spécialisée. Interpellée par une psychologue sur la signification inconsciente possible de ce qui lui est arrivé (1), elle va revivre par pans successifs sa relation avec Georgio (Vincent Cassel). Nous allons les suivre dans leur cheminement commun, fait de heurts et de réconciliations, dans un film – et j’en reviens ici à mon introduction – qui est tout sauf banal et convenu.

C’est une épopée amoureuse à laquelle nous convie la cinéaste, bousculant le genre pour donner un souffle particulier à son histoire. Nous pensons à des oeuvres comme « Nos plus belles années » ou à « La fièvre dans le sang » (2) pour cette capacité qu’elle a à faire exister un récit au long cours, s’étalant sur plusieurs années, afin de nous faire vivre cette dimension temporelle de manière à la fois très réaliste et presque onirique. Son sens du rythme nous entraîne dans le sillage de ce couple, dont nous suivons, comme fascinés, les turbulences et les errances.

Les limites s’abolissent également dans la description des deux protagonistes et de leur relation. Nous sentons que tout peut arriver, comme si une faille s’était ouverte dans le corset du récit traditionnel, ouvrant sur des horizons nouveaux. Rien d’attendu, tout est neuf, avec comme l’acidité des premières fois. Nous sommes aspirés dans cette histoire pleine de démesure (et nous sentons là, comme dans « Polisse« , la liberté de ton farouche de la réalisatrice, qui veut s’émanciper des figures classiques et y réussit). C’est un amour absolu et erratique qui nous est donné à voir ici, à la fois infantile et si dramatique, plein d’absolu, empli de paillettes et de larmes. Comme si le mythe prenait quelque part le pas sur l’histoire contée pour en faire un archétype du parcours sentimental de deux êtres.

Nous sentons la réalisatrice attentive à nous restituer le choc amoureux, dans une certaine violence des rapports qu’elle nous donne à voir, tempérée par l’humour ravageur que portent les dialogues. Elle excelle à traduire les décalages, les moments de doute, qui, comme autant de fausses notes, viennent perturber le diapason du couple, comme pour nous dire toute la difficulté à aimer.

Tout cela est porté par une distribution hors pair. Emmanuelle Bercot, cinéaste de talent (3), déjà présente dans « Polisse« , fait ici une prestation impressionnante ; elle a d’ailleurs été récompensée par le prix de la meilleure actrice à Cannes et ce n’est que justice. En femme soi-disant forte, qui se laisse prendre et ravager par cet amour hors du commun, elle est brillante et habitée. Vincent Cassel retrouve ici les accents de séduction de son père (Jean-Pierre Cassel), interprétant un personnage à la fois séducteur et inquiétant dans son imprévisibilité. Ils sont magnifiques dans leur manière de se mettre à nu dans ce corps-à-coeur.

C’est donc un grand film, qui ressemble déjà à un classique.
Je ne peux que le recommander.

FB

(1) Le mot « genou » peut être pris pour l’expression « je – nous » ; ainsi, cette articulation entre fémur, péroné et tibia, s’assimilerait pour certains à une articulation psychique entre soi et les autres.
(2) « Nos plus belles années », Sydney Pollack (1973) avec Barbra Streisand et Robert Redford ; « La fièvre dans le sang », Elia Kazan (1962), avec Natalie Wood et Warren Beatty.
(3) J’ai adoré « Elle s’en va » avec Catherine Deneuve (2013).