Dieu, que c’est stimulant et passionnant de fréquenter la Comédie Française, je ne le dirais jamais assez (1).
Dans cette pièce, qui a donné lieu à un mythe amoureux légendaire traversant les siècles, Shakespeare nous donne à voir l’origine de cette histoire si populaire (rendons grâce à ce magnifique texte), dans une mise en scène qui lui rend hommage (rendons grâce à Eric Ruf et à sa subtilité).
William Shakespeare (1564-1616) est un auteur complexe, multiforme, tant dans ses sujets (historiques, dramatiques ou comédies) que dans la manière de mener une pièce, capable d’osciller dans une même oeuvre entre crudité la plus nue et romantisme exacerbé. C’est un dramaturge vraiment à part, frayant au travers des intrigues qu’il choisit avec les grands du monde (rois et reines) et la populace, ne choisissant jamais vraiment son camp. De là ses oeuvres contrastées, originales, où le romantisme, quand il semble prédominer, s’accompagne toujours de trivialité. Nous pourrions citer dans la présente pièce l’étrange figure de Mercutio, ami de Roméo, poète qui nous régale avec des envolées lyriques d’une grande beauté (Cf. sa tirade sur la Reine Mab dans l’acte I, scène 4), mais aussi truculent et près à tout pour faire un bon mot.
Ici, nous sommes dans une histoire d’amour irrévocable ; à partir de l’instant où le jeune Roméo voit Juliette, la fille des ennemis ancestraux de sa famille, il tombe en amour et est aspiré dans un sentiment magnétique qui efface tout sauf cette jeune fille. Peu importe tout ce que diront les familles, les amis, ils iront tous les deux jusqu’au bout, avec la folie de la jeunesse, quitte à se précipiter dans le drame le plus noir. Tout au long de cette pièce, d’ailleurs, les images de mort s’entremêlent avec celles de l’amour (quand par exemple Roméo abandonne un amour précédent pour Juliette, surgit une comparaison sur un amour qui part au tombeau pour en exhumer un autre), comme pour préfigurer la fin. Et cela entre en résonance avec le déroulé de l’intrigue pour la faire basculer dans un mode tragique peu à peu.
Car cette oeuvre, que nous assimilons à un récit d’amour pur et idéal, prend sous la plume de l’auteur la forme d’un texte qui évoque souvent l’amour, certes, mais aussi la place de la femme, la virginité, le sexe, avec truculence et gravité à la fois. Et nous redécouvrons d’autant mieux ces aspects grâce à la mise en scène, Eric Ruf ayant pris le parti de placer l’intrigue dans une Italie que nous pourrions situer dans les années 40/50. Cette excellente idée lui permet de faire jouer les comédiens comme dans un film de Fellini, avec toutes les exagérations que cela autorise en termes de sentiments (querelles, amours et désamours apparaissent d’un grand naturel) ; dérision et humour surgissent alors du drame, avec fluidité. Quelle belle intuition !
Pour mener à bien ce projet, le metteur en scène trouve à s’appuyer sur le talent de la troupe de la Comédie Française, qu’il fait chanter, danser, jouer avec un naturel confondant. Leur joie de jouer est d’ailleurs perceptible. Rendons leur hommage de nous emporter dans ce spectacle, Danièle Lebrun et Didier Sandre en tête, mais également tous les autres, qui nous rappellent que seul un collectif peut créer une telle magie.
A recommander.
FB
(1) J’ai eu l’occasion à l’entracte de discuter avec mon voisin, récemment abonné au Théatre de l’Odéon, et qui a eu l’heur de voir la même pièce livrée à la sauvagerie moderne de ces metteurs en scène qui pensent que dévoyer un classique dans le trivial absolu lui donne plus de sens (nudité et autres transgressions de pacotille). La transgression, s’il y en a une, est à chercher dans la pièce elle-même ; bien mise en scène, par une personne qui cherche à se mettre au service de l’oeuvre (et non le contraire), elle est à même de donner toute sa puissance…
Florence, de ce côté ci ( la province, pire encore, Blagnac) il m’a été donné de voir Le Roi Lear mis en scène par Olivier Py (celle la même présentée à Avignon cet été) ce dernier transforme le texte (pour que l’on comprenne mieux ? Autre chose ? pour que ceux qui n’ont jamais lu la pièce comprennent eux aussi? Et les acteurs (acteurs?) se débattent la dedans (des noms connus au surplus) quand on pense que O. Py dit que quand le metteur en scène respecte le texte le public à l’impression qu’il le trahit, alors…
Je déteste Olivier Py et toute cette tendance de mise en scène de théatre, qui au prétexte de faire redécouvrir les textes, n’ont de cesse que de les abîmer. Il est vrai que Shakespeare est complexe, il me semble que les versions des pièces sont multiples, laissant la place à l’interprétation. Pour autant, ce que j’ai vu là était cohérent jusque dans son manque de linéarité et très beau.
Comme je l’ai dit (et je pense cela d’Olivier Py), un bon metteur en scène est celui qui pense à l’oeuvre avant de penser à lui-même.
Joyeuses Fêtes à toi ! 😀
Surtout que je suis à l’autre bout du monde !