Exposition – Sepik, arts de Papouasie-Nouvelle Guinée (2015)

J’ai déjà eu l’occasion, à propos d’une magnifique exposition sur les Iles Marquises l’hiver dernier, de dire toute ma reconnaissance au Musée du Quai Branly (Paris) pour m’avoir fait découvrir ces autres civilisations, dans toutes leurs dimensions cachées, d’une manière telle qu’elle vous ouvre vers quelque chose de différent, propre à vous faire réfléchir sur vous-même. Il y a quelques années, partie nez au vent de chez moi pour arpenter la ville, j’ai décidé de porter mes pas vers ce musée inconnu, dans une claire lumière de printemps. Bien m’en a pris, car je suis restée en arrêt devant tant de beauté, m’attardant dans la semi-pénombre des salles avec la gourmandise d’un enfant lâché dans un magasin de bonbons. Si j’ai été saisie par l’art de l’Afrique, avec sa statuaire énigmatique, j’ai eu un vrai coup de coeur pour l’art de Papouasie-Nouvelle Guinée qui m’a semblé bien plus merveilleux. Je dois rendre hommage à la clarté des explications muséographiques, qui, dans une langue simple et didactique, montrent toute l’envie des conservateurs de partager et transmettre.

[Digression] Cela nous ramène à un débat ancestral que j’ai croisé dans ma première vie d’archiviste, fait d’un antagonisme non résolu à ce jour entre conservation et mise à disposition. Si je montre les objets/peintures/manuscrits/monuments du passé, j’éduque et je transmet, mais je risque d’abîmer aussi, ce qui s’oppose à mon rôle de gardien.
Je dirai que se greffe à cette interrogation légitime une idée de pouvoir que donnerait la connaissance et que je trouve insupportable. Ainsi, je pense que bien des oeuvres seraient plus accessibles si les détenteurs institutionnels avaient une volonté avérée de les mettre à disposition, mais il faudrait alors, pour certains, écorner le pouvoir que leur donne leur connaissance sur l’inculture du public, en quelque sorte se mettre en danger, et c’est apparemment impossible pour certains. Nous voyons ainsi des expositions fleurir sans volonté réelle de pédagogie, juste pour faire l’exposition-du-siècle-qui-restera-dans-les-mémoires-et-permettra-de-vendre-un-catalogue-qui-fera-date, bref, un objet scintillant et fermé sur lui-même, accessible aux seuls initiés. J’en veux pour preuve le salmingondis phraséologique des cartons, parfois, qui sont pourtant censés accompagner le visiteur pour une meilleure compréhension de ce qui lui est donné à voir. Même pour moi, qui suis une littéraire et manie à peu près correctement la langue, cela est incompréhensible et je comprend que, loin d’éclairer le novice, tout cela le rejette dans les ténèbres de l’incompréhension, le faisant se sentir encore un peu plus ignare et déplacé.
Vous aurez compris que c’est un vrai coup de gueule auquel je me livre ici, contre toutes ces castes soi-disant culturelles, gardiennes de notre patrimoine à tous, et qui ne font rien d’autre que de nous le rendre inaccessible sous couvert de nous le montrer.

Dans ce beau et calme musée, rien de tel. Tout est fait pour la compréhension et la mise en commun. Telle était cette riche exposition (près de 250 objets ; j’y ai passé presque trois heures…), qui nous amène à la rencontre de ces peuplades situées à la limite de l’Asie et de l’Océanie.

papouasie

A partir d’objets rapportés pour la plupart par des expéditions allemandes aux XIXe et XXe siècles, le parcours nous emmène successivement dans les différentes dimensions du quotidien de ces femmes et de ces hommes, pour tenter de nous faire appréhender leur manière de vivre et de concevoir l’univers.

C’est un voyage ethnologique auquel nous sommes conviés, associé à un parcours artistique.

Nous apprendrons ainsi à situer le quotidien de ces personnes, les animaux qui les entourent (chauve-souris, poisson, serpent, poisson-chat, silure, aigle, crocodile, chien, casoar… Tous devenant bestiaire chargé de puissances négative ou positive), leur alimentation (sagou en gelée ou galettes (1), igname, taro, manioc, poisson…) et leur vie quotidienne, rythmée par les travaux de la terre, la chasse et les rites magiques.

Ce que nous percevons ici, avec fascination, c’est l’existence d’une autre société, structurée et différente, bien loin de la première impression qu’ont pu avoir les Occidentaux qui les ont découvert et en ont fait une relation sans aucun recul. Certes, la coutume impose des excursions guerrières contre d’autres villages pour rapporter des têtes coupées d’ennemis, ce qui a valu à ces populations le surnom de « coupeurs de têtes » avec toute la réputation sulfureuse qui va avec… Mais, et c’est justement là toute l’intelligence de cette exposition, replacer cette pratique guerrière dans le contexte lui donne un sens, intelligible même par nous. Il en va de même pour l’utilisation de cheveux et de crânes humains dans les objets magiques ou les scarifications des corps qui pourraient à premier abord provoquer le dégoût, mais prennent une vraie signification ici. Tout cela est propre à nous désaxer de notre champ d’usages occidentaux et c’est très excitant pour l’esprit.

La deuxième dimension à souligner est la beauté des objets en eux-mêmes. Faits de bois pour la plupart, teintés d’ocre, de blanc et de rouge sur le noir de la matière naturelle, ils s’imposent dans leur esthétique émouvante et fière, nous invitant à la contemplation. Je comprend l’engouement des artistes du début du XXe siècle pour ces pièces tribales (plutôt issues d’Afrique, certes) qui viennent s’opposer, dans toute leur ingénuité et simplicité, à cet art construit depuis des siècles en Occident, provoquant comme un choc des cultures d’autant plus bienvenu pour ces hommes qui cherchaient à inventer autre chose.

C’est donc à un voyage esthétique et sociologique que vous invite cette exposition, pour mieux comprendre qu’il peut exister des sociétés structurées et stables bien différentes de la nôtre, et que la beauté peut se nicher partout.

Vous aurez compris que je recommande…

FB

 index index2index4index5

(1) Le sagou est une fécule extraite du sagoutier, sorte de palmier.