Littératures – Jeff VANDERMEER : Annihilation (2014)

annihilation

Et voilà, je replonge dans la science-fiction, après des années de désintérêt pour ce genre… Et bien m’en a pris, car j’ai commencé par le récipiendaire du Prix Nebula 2014 (1), pour ce premier opus d’une trilogie (2).

Ce livre nous prend comme dans un envoûtement, qui ne nous lâche pas de la première à la dernière page (et pourtant je l’ai lu en anglais…) et il continue à résonner en nous bien après l’avoir refermé. Pourtant, il ne s’y passe pas grand chose de spectaculaire, à l’aune du genre, pas de combat spatial, pas de confrontations avec d’autres planètes, pas de paradoxe temporel fulgurant…

Aux confins du monde « normal » (dont nous ne saurons pas de quoi il s’agit exactement), se trouve, au-delà des frontières, la zone X, dans laquelle sont envoyées régulièrement des expéditions pour comprendre ce qui s’y passe. Nous assistons, dans le roman, au récit de la onzième expédition, formée de quatre membres, une biologiste (la narratrice), une psychologue, une géologue et une anthropologue. Des expéditions passées, nous apprendrons que certaines se sont très mal terminées, suicides en série, disparitions des membres… C’est dans un espace dangereux que nous pénétrons à la suite des héroïnes du groupe. Et cependant, les lieux ont l’air (presque) tranquilles, dans leur biodiversité un peu étrange, au début ; il est d’ailleurs très intéressant de noter que, comme nous ne savons pas vraiment dans quel monde vivent les gens « normaux », nous avons du mal à mesurer les différences avec l’univers dans lequel nous nous trouvons. Dans ce milieu particulier, les quatre scientifiques vont découvrir peu à peu des choses enfouies qui vont venir frapper leur existence de plein fouet ; certaines d’ailleurs n’y survivront pas.

Ce livre m’a fait penser à Lovecraft, qui sait, comme aucun autre, peindre des menaces sourdes et rampantes sans les décrire tout à fait. Ici, tout est suggéré, rien n’est vraiment expliqué, ni quant à la fascination qu’exerce cet environnement sur les protagonistes, ni quant au danger qui rôde alentour. Ce ne sont que vagues ressentis ou images, qui finissent par s’imprégner en elles et nous jusqu’à devenir lancinants… Les morts font irruption, sans fait annonciateur, ni mobile, ni analyse possible a posteriori. Et tout se passe comme si le fait de ne pas nommer tout à fait la menace la rendait encore plus difficile à supporter.

Autre point commun avec Lovecraft, le rôle donné à la nature. Dans les deux cas, comme si elle prenait une revanche, elle se mesure aux humains à armes égales ; elle est à la fois bras armé et signe du danger, instrumentalisée par des forces qui nous dépassent. Et chacun des auteurs se plaît à la décrire avec précision, comme pour lui donner plus de poids (ici, rien que de plus normal, c’est une biologiste qui parle) ; elle finit d’ailleurs par s’entremêler aux humains, comme pour les absorber. Ajoutons ici le fait que les protagonistes soient des femmes renforce cette idée de nature procréatrice, qu’elle engendre le bien ou le mal (interprétation tout à fait personnelle).

Tout cela contribue à créer une atmosphère de grand mystère, dans laquelle rien ne se décrypte aisément, bien que nous sentons toutes ces forces qui nous entourent ; l’auteur ne nous donnant que peu de clés, il installe une ambiance de lâcher prise où nous nous laissons aller à ce qui se passe sans vouloir en savoir davantage. Même si le livre s’apparente parfois à une chasse au trésor – ou à un jeu vidéo RPG (3), c’est selon les références de chacun – nous nous contentons de suivre ces aventures sans savoir où nous allons, et c’est tellement prenant…

Un livre que je recommande aux « non allergiques » de la science-fiction ( et je vais pour ma part lire les deux autres volets…).

FB

(1) Prix décerné annuellement par la Science Fiction and Fantasy Writers of America.
(2) Viennent ensuite, publiés en 2014 en anglais : « Authority » et « Acceptance ».
(3) Role playing game : jeu de rôle.