Cinémas – Henry Alex Rubin : Disconnect (2012)

disconnect

Je vous préviens tout de suite, surtout au sortir du Festival de Cannes, nous ne sommes pas là devant un grand film esthétisant ; même s’il lorgne parfois vers le film d’auteur (image donnant, faussement, l’impression de l’amateurisme, acteurs peu connus,…) son objectif est l’efficacité au service d’une thèse sociétale, toujours d’actualité et plus que jamais, trois ans après.

Résumons ici le « pitch » (ou le scénario, si vous préférez), trois histoires qui vont s’entrelacer pour certaines : un adolescent harcelé via internet par deux de ses camarades de classe, jusqu’à commettre un acte irréparable ; une journaliste qui fait un papier sur un jeune homme qui se « prostitue » par webcam interposée et en payera le prix ; un couple dont le compte est vidé du jour au lendemain par voie informatique. Au travers de ces récits intimistes, le cinéaste va disséquer le profond désarroi des protagonistes, avec des schèmes sociaux connus : un adolescent en souffrance, rejeté par les gens de son âge, y compris sa soeur ; une femme qui, ignorée de son mari, se réfugie auprès d’autres hommes ; un jeune homme en rupture qui tombe dans les griffes du premier escroc venu (1)…

Mais le personnage central, c’est internet, le réseau, le web, que l’auteur attaque dans une dénonciation sans appel. Les relations à distance que crée ce réseau, a priori inoffensives (puisque tout le monde y a recours), vont se retourner contre les protagonistes avec une grande violence pour certains, semant désordre et rupture. Ce que l’auteur cherche à nous montrer, parfois maladroitement, est le pouvoir destructeur de cet outil, pouvoir que nous ne faisons souvent que soupçonner. Car, s’il nous rapproche des autres virtuellement, il nous laisse également dans notre bulle d’intimité que nous pensons préservée. Non, nous dit le cinéaste, tout geste sur le Net peut avoir des conséquences, qui finissent par nous ramener dans la vraie vie, parfois avec violence. Et nous assisterons à des scènes réelles très agressives, auto-défense ou instincts sans contrôle…

C’est un film noir, en forme de dénonciation, qui cherche à nous prévenir contre l’inconscience que nous avons à utiliser les outils numériques, qui peuvent faire une irruption incontrôlée dans notre réel.

Et quand je vois ces dizaines de personnes, que je croise dans la rue, téléphone portable en main, tel un doudou numérique, qui doit les rassurer face au grand monde réel et les empêcher de se confronter aux choses/gens vivants qui les entourent (2), je ne peux qu’applaudir à cette initiative filmique, toute mal ficelée qu’elle soit (efficacité versus naturel, pathos lourd sur la fin). Issue du pays même qui promeut la digitalisation totale (Apple, Google…), c’est une contestation salutaire, qui ne nous dit pas forcément d’abandonner nos outils, mais de les utiliser avec prudence.

A voir ? Je ne sais, mais j’en ai tiré quelque chose.

FB

(1) J’ai beaucoup pensé à « Oliver Twist » (Charles Dickens, 1837/1839), lorsque le héros est pris en main par Fagin, qui l’oblige à voler en échange du vivre et du couvert.
(2) Dans la série « Darwinisme », je pense que l’Homme est en train de développer une capacité particulière de type « SONAR » (sound navigation and ranging), qui lui permet, bien que les yeux vissés à son smartphone tout en marchant, de sentir la présence de piétons qui vont le croiser : est-ce un signe d’une mutation de l »Homo sapiens » vers l »Homo virtualis »
?