Cinémas – Giulio RICCIARELLI : Le labyrinthe du silence (2014)

labyrinthe

Voilà un film bien intéressant qui nous met face à une période historique trouble, en forme d’époque charnière entre nous et la Deuxième Guerre Mondiale. Il me semble toujours salutaire de nous décaler parfois de notre point de vue, pour en épouser un autre et mieux comprendre la position que nous avons par rapport à un fait historique ; même sans être révisionniste dans l’âme, c’est une tendance naturelle et compréhensible que de ne pouvoir s’abstraire de son contexte pour en évaluer un autre.

Nous sommes en 1958 en Allemagne, à Francfort, dans la zone occupée par les Américains. Johann Radmann, jeune procureur, rencontre un journaliste, Thomas Gnielka, qui fait irruption dans le Palais de justice pour demander que l’on poursuive un homme, ancien Waffen SS à Auschwitz. En dépit du désintérêt – ou des avertissements – de ses collègues, il va mener son enquête, appuyé par le Procureur général, contre les anciens SS du camp.

Sur la forme, c’est un film carré et efficace, comme savent en faire les Allemands (1), un peu monotone parfois et sans grande fantaisie. Mais c’est tout à fait ce qu’il fallait ici pour soutenir le propos du cinéaste.

L’intérêt est ailleurs. Dans la description d’un pays qui cherche sa survie après un des plus grands cataclysmes de l’Histoire, dont il est responsable. Le premier instinct est d’effacer, de nier, de faire comme si rien n’avait existé. D’autant plus que tout le monde à l’époque – ou presque – nolens volens,  adhérait au Parti et que, comme le dit un des protagonistes, le procès de Nuremberg a réglé la question. Treize ans après la fin de la guerre, plus personne en Allemagne ne sait ce qu’est un camp d’extermination (séquence hallucinante où le journaliste demande à quelques personnes qui passent s’ils connaissent Auschwitz ; elles répondent toutes par la négative), et ce jeune procureur non plus. Il faut aller de l’avant, la géopolitique a changé, elle oppose désormais Américains et Russes, le reste est de l’ordre du passé (2). Et nous, qui voyons depuis notre XXIe siècle tous ces faits historiques comme aplatis par le temps qui passe, ou plutôt remis à leur juste place dans l’Histoire, nous sommes stupéfaits devant ce négationnisme, même si nous en comprenons le mécanisme.

Le film est bâti autour de la prise de conscience du héros procureur, qui ne savait rien et découvre tout ; les auditions des rescapés du camp sont ainsi bouleversantes, nous les écoutons comme pour la première fois, comme si nous étions lui. Nous allons assister à ses questionnements intérieurs en forme d’errance, qui vont l’amener à une phase de rejet total, lorsqu’il va découvrir que son père avait adhéré au parti Nazi. Naïf et droit, parfois jusqu’à la rigidité, il est l’homme idéal pour le procureur en chef qui veut que l’Allemagne elle-même juge son passé, sans laisser cette tâche à d’autres (les vainqueurs à Nuremberg, ou, à la même époque, Israël avec Eichmann).

Le film nous offre à cet égard une démonstration passionnante sur le rôle de la justice, amplifié ici par les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons. S’agit-il de venger les victimes ? Ou de les tirer de l’oubli ? Ou encore de briser le silence ? Faut-il poursuivre tous les Nazis ? Ou faire des exemples ? Toutes étapes qui sont abordées successivement jusqu’à ce que la vérité de l’objectif apparaisse en pleine lumière.

C’est également, comme je l’ai dit, une leçon sur la manière d’aborder l’Histoire, en se gardant des projections erronées. Cette époque allemande nous semble d’ailleurs extrêmement libre, vue de nous, avec tellement de choses à réinventer (et à réenchanter) après les événements qui viennent de s’y produire. Et c’est quelque chose que le cinéaste arrive à nous restituer avec brio : une fois que la chape de plomb est entamée, bien des possibles s’ouvrent, vierges et à écrire. Je citerai, en forme d’illustration, la superbe scène où le procureur et le journaliste, juifs ni l’un ni l’autre, se rendent à Auschwitz pour dire la prière des morts, le Kaddish, en mémoire de deux petites filles.

Le tout est servi par une distribution impeccable et je ferai mention d’Alexander Fehling, qui anime le personnage du procureur avec flamme et retenue à la fois.

En marge, je dirai qu’un tel film ne pouvait être tourné que longtemps après, sur le moment, les énergies étaient toutes englouties dans la reconstruction et je pense qu’aucun autre discours n’était dicible ni entendable.

Un devoir de mémoire, qui prend une résonance particulière dans notre actualité.

A voir

FB

(1) Même si le metteur en scène est d’origine italienne, il vit depuis son enfance en Allemagne.
(2) « Hitler est mort », comme le rappelle au procureur plusieurs de ses contacts.