Je célèbre ici mon intronisation à la littérature d’Afrique noire (il était temps !) par le biais d’un livre fascinant écrit par Emmanuel Dongala, auteur congolais, réfugié aux Etats-Unis depuis la guerre qui a ravagé son pays à la fin des années 1990.
C’est de guerre civile que nous parle cet ouvrage, au travers des destins croisés de la jeune Laokolé et de Johnny dit « chien méchant » milicien. Alternant deux récits à la première personne, qui nous disent parfois les mêmes moments, l’auteur nous décrit la fuite de la population devant des soldats ivres de sang et prêts au massacre. Il ne situe pas son récit dans son pays d’origine, c’est une histoire décontextualisée qui pourrait se passer dans n’importe quel pays d’Afrique, comme s’il tentait de tirer une vérité universelle des faits dont il a été témoin.
L’écriture est concrète et descriptive, à l’instar de cette réalité qui entoure les protagonistes, comme un conte qui s’égarerait du côté noir, la vie contre la mort ; style sans faille qui nous fait dévorer le livre à grande vitesse.
Au-delà de l’histoire de ces deux personnages, l’écrivain nous raconte comment un pays affronte l’inhumanité et l’absurdité.
Pour la première, je donnerai un exemple particulièrement frappant, l’épisode où, les habitants locaux étant parvenus à se replier dans les locaux du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR), assiégé par les rebelles, une opération de sauvetage du personnel est déclenchée par les forces internationales. Bien sûr, il ne s’agit pas d’emmener un seul des habitants, juste les fonctionnaires étrangers et, ironie suprême, les forces armées reviennent pour sauver… un chien oublié par sa maîtresse ! Le reste du livre est à l’avenant, ces enfants soldats qui tuent pour un rien, prêts à tout pour montrer qu’ils sont devenus (trop vite) des hommes ; cette mère aux jambes fracassées par une rébellion précédente dans laquelle elle a perdu son mari, trimballée par sa fille dans une brouette ; cette jeune fille qui en quelques jours, perd sa mère, son frère, ses amis ; la gangrène de la corruption vue au travers de M. Ibara, douanier rançonneur qui a amassé une fortune disproportionnée dans le contexte. Sans appuyer plus que nécessaire, au travers de son récit fluide et prenant, l’auteur nous montre ces différentes figures qui finissent par s’entrecroiser pour tisser une vision bien dramatique d’un pays meurtri mais où tout cela n’a plus tellement d’importance.
L’absurdité se situe elle du côté des forces armées. Ils combattent mais ne savent plus très bien pour qui (1) ni contre qui. Les soldats recherchent l’ennemi tchétchène ou ouzbekh, vocables issus d’autres conflits qui ne les concernent pas, comme si l’important était de nommer l’adversaire et de le faire ainsi exister pour pouvoir se livrer à prédations, meurtres et viols, dans une toute puissance débridée (2). Derrière cette dérégulation totale, nous pressentons des pouvoirs politiques qui ne cherchent que leur satisfaction immédiate et dans la durée, quitte à sacrifier leur pays sans vergogne (c’est quand même l’image que nous avons d’une partie des pays africains…). Populations bousculées et hordes incontrôlables, sans que personne ne comprenne vraiment ce qui se passe, voilà un motif que n’aurait pas désavoué Franz Kafka.
Au milieu de cette dévastation, la focalisation de l’écrivain sur deux figures adolescentes, Laokolé et Johnny, nous renvoie l’idée que même l’avenir est compromis ; confrontés trop tôt à des situations insupportables, ils illustrent le sacrifice de l’enfance et de sa vitalité. Emmanuel Dongala clôt son récit sur leur affrontement, deux figures semblables et opposée par les circonstances et il nous donne un message que je veux voir comme une espérance.
C’est un livre passionnant que je recommande.
FB
(1) Il se passe d’ailleurs à un moment un renversement de situation au pouvoir et tout le monde change de camp tout en continuant à faire ce qu’il faisait, à savoir massacrer…
(2) Rappel sinistre du régime nazi et de son tropisme envers les Juifs…