Arts plastiques (?) : Taryn SIMON (1975- ), projets photographiques

Taryn simon

Voilà pour moi une illustration de la vacuité… Vous trouverez que je suis un peu « raide » en disant cela, mais je pense qu’il faut appeler un chat un chat. J’ai découvert ce week-end, au Musée du Jeu de Paume à Paris, l’oeuvre de cette jeune femme américaine ; bien que je me méfie de la photographie, surtout dans l’ascension inflationniste qu’elle a connu ces dernières années dans sa promotion au statut « d’Art », envahissant les galeries, dans un premier temps, puis les musées, je vais toujours voir certaines expositions, histoire de continuer à donner une chance à cette pratique. C’est parfois un grand bonheur (en général, les expositions de la Maison européenne de la photographie, dans le Marais, sont très réussies), mais pas ici.

Car contrairement à ce que nous pourrions penser de prime abord, c’est un terrain vraiment difficile par sa simplicité même. Tout le monde peut prendre une photo, est-ce pourtant de l’Art, même si elle est réussie ? C’est une vraie question et la limite est mince entre un amateur doué et un artiste. Tout dépend à mon avis, de la volonté d’interpréter le monde qui fait agir le photographe : s’il est artiste, il veut nous faire appréhender ce qui nous entoure autrement et le fait que les clichés soient beaux n’en sont qu’une résultante et pas une finalité unique. Sinon nous sommes dans l’esthétique pure, le beau décoratif.

Ici, le propos est annoncé avec tambour et trompette par le livret qui nous est remis à l’entrée et les commentaires explicatifs qui rythment les salles. Plusieurs « projets photographiques » se donnent à voir et je vais essayer de vous en restituer l’essence et surtout ce que j’en ai retiré.

Ecoutons, en incipit, ce que le commissaire de l’exposition dit de l’artiste :
« L’oeuvre de Taryn Simon (née en 1975) est le résultat d’un processus de recherche et d’investigation rigoureux, centré sur la structure et le poids du secret, ainsi que sur la précarité des mécanismes de survie. Mêlant photographie, texte et graphisme, ses projets conceptuels traitent de la production et de la circulation de la pensée comme des politiques de représentation […] Les images et les textes de Taryn Simon révèlent l’espace invisible entre le langage et le monde visuel – un espace où se construisent des vérités et des fantasmes multiple, où le décalage et la désorientation sont constamment à l’oeuvre. En attirant l’attention sur la relation complexe entre texte et image, elle met en lumière des habitude de déduction et de jugement tout en dévoilant la dimension fictionnelle des faits. A l’heure où le fonctionnement des institutions civiles et la circulation de l’information sont de plus en plus liés aux images, les interprétations autour de notions telles que le droit d’accès, la connaissance, la compréhension et la vérité se multiplient. Forte de ce constat, Taryn Simon pointe dans son travail les erreurs d’interprétation auxquelles invite la photographie.
Elle convoque souvent la forme de l’archive pour appliquer une illusion d’ordre structuré sur la nature chaotique et indéterminée de se sujets. Sa collection d’images et de données débouche sur les questions abstraites qui hantent nos nuits :  que faisons-nous ici . La vie a-t-elle un but ? Qui la dirige ? En même temps Taryn Simon reconnaît que les archives existent parce que ce contenu insaisissable, qui ne s’exprimes pas forcménet par des mots, s’énonce dans les intervalles existant entre les informations recueillies.
Un futur improbable se tapit au fond des récits qu’explore Taryn Simon. dans son travail, l’histoire – se modes de classification, ses contenus – semble être le support d’une projection »

Si j’ai voulu transcrire in extenso cette présentation de l’artiste réalisée par le Musée du Jeu de Paume, c’est pour mieux souligner le hiatus entre ce qui est exprimé ici (pompeux, boursouflé, verbeux, pédant, pour la majeure partie) et ce que nous allons voir. Comme s’il fallait renchérir dans le propos en proportion de la pauvreté/richesse de l’oeuvre (1), ici remplir le vide laissé par elle.

Nous allons ensuite voir les différents « projets » dont il est question…

The innocents (Les innocents 2002) nous montre de grandes photographies décoratives, aux couleurs pleines d’effet (saturées, en général) illustrant des lieux emblématiques de crimes (lieu d’alibi, lieu d’arrestation) où la photographe fait le portrait de victimes d’erreurs judiciaires aux Etats-Unis. Ces personnes, emprisonnées un long moment sur la foi de témoignages erronés, ont ensuite été relâchées ; les cartons détaillent leur identité, les circonstances de leur mise en prison et le temps pendant lequel ils y sont restés). Un film complète l’ensemble en leur donnant la parole sur leur vécu.

TS 1
An american index of the hidden and unfamiliar (Index américain du caché et du méconnu 2007) veut nous donner à voir des exemples de « choses culturelles » cachées, aux Etats-Unis. Ainsi défilent des fûts de déchets radioactifs, une femme ayant subi une hymenoplastie (réparation de l’hymen), une édition du magazine Play-Boy en braille, des tableaux cachés dans une réserve de la C.I.A., un tir de missile, un tigre blanc né en captivité etc.

Fûts de déchets radioactifs

Fûts de déchets radioactifs

A living man declared dead and other chapters (Un vivant déclaré mort et autres chapitres 2007-2011), qui a quand même demandé quatre ans d’élaboration, nous emmène au sein de plusieurs familles (Allemands issus de Nazis, paysans d’Inde ayant perdu leur terre, famille chinoise appartenant au Bureau central du Parti Communiste et Serbes martyrisés à Srebenica). De chacune, elle fait les portraits des membres, inscrits dans un même espace, décrivant les liens de parenté entre eux. Ecoutons ce qu’elle sait dire de cette oeuvre :
Je me suis efforcée d’articuler certains systèmes, modèles et codes à travers la forme et le récit. J’étudiais alors les questions auxquelles il est pourtant impossible de répondre quant aux rapports entre le hasard, les liens du sang et d’autres facteurs de la destinée. Les échecs et les formes de rejet qui ont ponctué ce processus ont fini par constituer une partie importante de ce travail. Il y a plusieurs « portraits vides » qui représentent des membres vivants d’une lignée, qui ne pouvaient cependant être photographiés pour diverses raisons, notamment la dengue, la prison, le service militaire et les restrictions culturelles d’ordre sexuel. Mais certains ont tout simplement refusé parce qu’ils ne voulaient pas faire partie du récit. Les vides constituent un signe d’absence et de présence. Les récits fonctionnent comme des épisodes archétypaux qui proviendraient du passé, ont lieu aujourd’hui et se répéteront à l’avenir. je pensais à la notion d’évolution et je me demandais si nous déroulions effectivement un récit, ou si nous n’étions pas plutôt comme un disque rayé – des fantômes du passé et de l’avenir »
Dans The picture collection (La collection d’images, 2013), l’auteur puise dans l’immense collection d’images de la Bibliothèque publique de New-York, déjà classées par genre, pour réaliser des collages thématiques sans fil directeur évident (« Piscines », « Blessés », « Vu de dos », « Clair obscur », « Panique financière »…).
Enfin, Contraband (Contrebande, 2010), présente une collection d’objets saisis par les douaniers de l’aéroport J.F. Kennedy à New-York, photographiées du 16 au 20 novembre 2009 non stop par l’auteur (nous troquons ici la photographie pour la performance) et classées par type (armes, drogues, etc.),présentant une image instantanée des interdits américains.

Ressort tout d’abord une impression de superficialité ; nous avons beau chercher le sens de tout cela, il nous échappe. Nous sommes devant quelque chose de très plat qui ne dit pas autre chose que ce que nous voyons. Des innocents injustement condamnés, d’accord, et à part cette prise de position citoyenne, qui ne relève pas automatiquement de l’art, que nous dit-on de plus ? Rien. Il en est de même pour tout ce qui nous est présenté, aucun surgissement de sens dans les photographies elles-mêmes ni dans le discours qui les accompagne.

Je ne dis pas tout à fait la vérité ici, car une méta-signification (employons le même langage qu’eux) se dégage, si nous faisons un pas en arrière pour contempler l’artiste elle-même en contexte. Ce qui est intéressant ici c’est ce que l’exposition dit sur elle. Nous sommes face à une américaine, c’est sûr, dans tout ce que nous imaginons de plus entier et naïf quand nous pensons aux habitants de ce pays. L’oeuvre est en premier lieu très « américano-centrée », malgré les pas de côté que l’auteur essaye de faire vers d’autres pays. Contraband montre tout le mal qui reste aux frontières de ce beau pays. An american index… nous étonne par sa naïveté ; oui, il existe des animaux en cage, oui, les institutions d’Etat sont faillibles (C.I.A.), oui, les Etats-Unis produisent des déchets nucléaires et des missiles, oui la pornographie est accessible à tous… Si c’est une prise de conscience, nous sommes à un niveau assez bas, reconnaissons-le. Dans le même ordre d’idée, replaçons The innocents. Découvrir qu’il existe des erreurs judiciaires de cette ampleur est à la portée de n’importe qui ayant un peu de sens critique. Car nous semblons être uniquement devant une découverte que l’auteur vient de faire et qu’elle veut faire partager, sans en tirer aucune conséquence artistique (ou autre ?) : le Jeu de Paume comme alternative à des posts sur Facebook ?

Que dire de A living man… sinon que le manichéisme fait ici irruption pour nous proposer des stéréotypes de familles opprimées d’une manière ou d’une autre (voir plus haut) (2) et là encore pour n’en dire rien. Nous ressentons derrière l’auteur le pays entier qui surplombe le reste du monde et s’en étonne. J’ai eu de la peine pour eux, pour tous les espoirs qu’ils ont dû placer dans ce projet…

Bref, à voir si vous voulez vous faire une idée, cela reste intéressant pour les raisons développées plus haut.

FB

(1) Vous noterez que pour les artistes qui ont quelque chose à dire, les commentaires sont nettement plus concrets et factuels, laissant l’oeuvre parler. Si vous ne voyez pas, imaginez ce que pourrait être l’apparat critique d’une exposition sur Chardin ou Monet… Je dirai quand même que parmi les propos que j’ai pu lire dans des expositions depuis un certain temps, ceux-ci sont particulièrement remarquables dans l’illustration qu’ils donnent de ma théorie.
(2) Vous aurez noté que dans tous ces cas de figures de familles, les Etats-Unis n’y sont pour rien… C’est moi qui souligne, comme dirait Nina Berberova… 😉