« C’est dimanche matin et j’épluche les offres d’emploi. J’y trouve deux catégories de boulots : ceux pour lesquels je en suis pas qualifié, et ceux dont je ne veux pas. J’étudie les deux. »
Voici la première phrase de ce livre d’un écrivain américain originaire d’Ecosse, oeuvre autobiographique dans laquelle il nous conte ses pérégrinations professionnelles. Titulaire d’une licence de lettres – qui lui a coûté la bagatelle de 40 000 dollars – il se retrouve sans capacité particulière, obligé de prendre des emplois non qualifiés (ou qualifiés mais pour lesquels on manque tellement de main d’oeuvre que cela devient un détail) sur de courtes périodes. Il enchaîne ainsi, dans son récit, plus de quarante expériences aussi diverses les unes des autres que la pêche au crabe en Alaska, la restauration, le déménagement, la livraison de fuel, le dépannage informatique, etc. etc.
Ce livre est tout d’abord un formidable portrait social des Etats-Unis d’avant la crise (nous pouvons penser que les choses ne se sont pas vraiment arrangées depuis). L’auteur, au travers de son expérience, nous décrit de manière très littérale ces différents domaines d’activité dans lesquels il s’engage, brossant le portrait de ce pays industrieux et des personnes qu’il rencontre. C’est en soi déjà passionnant. Mais ce n’est pas tout. Nous voyons également se dessiner un monde du travail spécifique, celui des personnes sans qualification, conduites à exercer des professions rudes, la plupart du temps manuelles, et sans espoir réel de progression salariale ou de grade. Il arrive ainsi au protagoniste d’être licencié juste avant la période fatidique des quatre-vingt dix jours, qui déclenche le droit à l’assurance maladie. C’est une main d’oeuvre précaire, comme le titre l’indique, utilisée par les employeurs comme des produits jetables, que ce livre nous donne à voir, bien loin du rêve américain autour de l’ascension sociale. Et pourtant, ce qui nous frappe également, sûrement en contrepoint à ce que nous ressentons en France, c’est le dynamisme de ce marché de l’emploi, où nous avons l’impression que n’importe qui peut trouver rapidement un travail, peu importe son C.V. ou ses références. A condition bien sûr de se contenter de quelques dollars par heure… Le côté ténu des liens avec l’employeur (l’auteur se fait licencier ou quitte ses emplois successifs sans trop de procédure) peut parfois être le signe d’une vraie liberté (que l’on me comprenne bien ici, loin de moi l’idée de faire l’apologie de ce type de relations employeur/employé, il s’agit juste d’un constat porté par le livre).
Cette vitalité, nous la sentons aussi dans le style de l’écriture et dans la manière dont l’auteur regarde ce qui lui arrive. Chez lui, nul misérabilisme, pas de regret (sauf par rapport à sa licence, chèrement payée et inutile), il va de l’avant, même s’il s’énerve parfois contre certains patrons qui l’arnaquent. Tout au long du récit, nous sentons quelqu’un qui contemple sans apitoiement, avec un recul impressionnant et une ironie subtile, son parcours en lignes brisées. Et c’est magistral.
Je comparerai volontiers cette oeuvre à celle de George Orwell « Dans la dèche à Paris et à Londres », où ce dernier nous contait la vie des travailleurs pauvres ou sans domicile fixe entre les deux guerres, en forme de récit journalistique. Ce sont des ouvrages qui sont à la fois description et oeuvre politique, très précieuses pour comprendre le monde.
Je recommande donc cette lecture.
FB