Ce week-end, étourdie et fatiguée par le froid, je me suis laissée allé à regarder un film « facile », c’est à dire, dans mon jargon, qui ne va pas faire empirer mon mal de tête causé par les basses températures ni solliciter trop mes neurones engourdis. Attention, l’épithète « facile » ne coïncide pas avec « mauvais », j’ai en réserve nombre de ces oeuvres que je regarde avec plaisir à certains moments.
Alléchée par la distribution (Nicolas Cage et la jolie Rose Byrne) ainsi que par l’accroche, je me suis confortablement installée, au chaud, pour assister à ce film, n’espérant pas forcément plus qu’un divertissement.
Las… Quel naufrage !
Voilà, je suis cinéaste américain, j’ai plein d’argent et j’ai une excellente idée de scénario (ou, soyons précis, de début de scénario). Alors on dirait que dans les années cinquante/soixante, les élèves d’une classe américaine réaliseraient des dessins sur le thème « où en serons-nous dans cinquante ans ? » et que cinquante ans après, lors d’une émouvante cérémonie, la capsule contenant les dessins serait ouverte et les dessins distribués aux enfants de la même école. Et alors, miracle, le fils de Nicolas Cage (Non ??, Si !!) hériterait, lors de cette distribution aléatoire, d’une feuille couverte de chiffres mystérieux. Comme le hasard fait vraiment bien les choses dans certains films américains, le père du jeune Caleb (Nicolas Cage, si vous avez bien suivi cette intrigue complexe 😉 ), se trouverait être statisticien (Non ??, Si !!), et le soir, n’ayant rien d’autre à faire que de boire du whisky (qui, nous le savons augmente prodigieusement l’acuité cérébrale) en tentant de trouver une signification à cette énigme, il découvrirait que ce sont les coordonnées (dates, lieux et nombre de morts) des principales catastrophes survenues sur la planète dans les années précédentes, et, mieux, que certaines d’entre elles parleraient de faits non encore survenus. Ouh, là, là quel suspense (j’exagère un peu dans mon récit de cette première partie, à ce stade j’étais encore confiante et il s’agit d’une relecture à la lueur de ce qui a suivi). Notons quand même que parmi les catastrophes, figure l’attentat du 11 septembre 2011, mais pas grand chose sur les événements non américo-centrés, par exemple et pour n’en citer que deux, qui nous ont marqué, les 226 000 morts du raz-de-marée de décembre 2004 dû à un tremblement de terre à Sumatra, où les 3000 morts d’Haïti, suite au passage d’un cyclone, la même année. Il est vrai que 81 morts américains dans un crash d’avion, cela compte plus ! Puisque nous sommes dans un film à chiffres, peut-être pourrions-nous calculer l’équivalence morbide d’un mort américain pour N morts étrangers ? (là, j’en fait un peu trop, c’est possible…).
A partir de là, le scénario est aux abonnés absents, le cinéaste ayant épuisé toutes ces ressources à mi-film et nous allons peu à peu patauger dans le grand n’importe quoi.
Tout d’abord, j’organise une rencontre cousue de fil blanc entre le héros, veuf (il a perdu sa femme dans une des catastrophes, il vient de le découvrir, vous voyez d’ici la charge en termes de pathos !), avec la fille de l’écolière qui avait écrit les prédictions, et qui, elle-même seule, a une fille. Cette parfaite symétrie (homme seul <=> garçon, femme seule <=> fille), du type « recollez selon les pointillés pour avoir une famille complète », sert effectivement dans un premier temps (et resservira ensuite, nous le verrons), mais cela paraît trop facile au cinéaste, qui organise la mort de la femme. Pathos (j’ai perdu ma femme)+ pathos (j’ai perdu une femme possible) = je suis dans un film grave, et Nicolas Cage, qui n’avait déjà pas un air réjoui, nous offre à partir de là un jeu limite dépression/courage : je veux dire qu’il continue à courir, crier, conduire des voitures à fond, mais tout en accentuant la ride d’expression qu’il a entre les yeux. Et d’ailleurs, s’il reste présent à l’écran, il est passé en pilote automatique depuis longtemps (nous pouvons légitimement nous demander s’il ne s’agit pas d’un hologramme incrusté dans les images réelles).
Le meilleur reste à venir. Bien sûr, j’aurais dû me douter de quelque chose en voyant la jaquette… Car ce qui est prévu, à part le crash aérien qui tue 81 AMERICAINS, excusez du peu et paix à leur âme, c’est la fin du monde (nous voyons toute la finesse de gradation entre les fléaux qui s’abattent sur la Terre, euh, sur les Etats-Unis d’Amérique). Et la faute à qui, la faute à qui ? Le cinéaste : oui parce que là, il va falloir que je pense à une fin, j’ai déjà fait mourir l’héroïne, je ne peux pas faire pareil à Nicolas Cage, c’est un héros AMERICAIN, donc il faut que je trouve autre chose, et en plus les autres AMERICAINS ne peuvent pas être dans le coup, même méchants. Mais en fait, je suis super intelligent, j’ai préparé mon coup depuis le début et vous ne l’aviez pas vu ! C’est la faute aux hommes en noir qui deviennent lumineux quand ils se déshabillent, c’est plus photogénique, ceux qui ne font rien qu’à laisser des galets polis partout, vous ne les aviez pas remarqués ? Mais oui, des extra-terrestres qui arrivent à la fin avec leur belle soucoupe volante.
Et oui, voilà le mystère éclairci ! C’est la faute à personne sur terre, les catastrophes climatiques, les déraillements de train, carambolages et autres crashs aériens, juste des êtres venus d’ailleurs qui nous cherchent des noises et viennent refonder notre civilisation en enlevant un jeune garçon et une fillette (devinez qui ?). Nicolas Cage – qui avait lu tout le scénario avant nous, reconnaissons lui cela – ne paraît absolument pas ébranlé quand ces hommes luminescents lui signifient qu’ils veulent emmener les deux enfants (il comprend ce qu’ils disent, il est trop fort ce Nicolas Cage !). Car tout est clair pour lui, et nous avons droit à une scène surréaliste où il rassure son fils avant de le confier à ces créatures, comme s’il s’agissait de le laisser entre les mains d’une baby-sitter pour une soirée (mais l’intelligence de Nicolas Cage nous dépasse, admettons-le une bonne fois pour toute…). « C’est vous qu’ils ont choisi pour recommencer »,dit-il aux deux enfants, pour que tout soit bien posé (il est vrai que le retournement nous prend un peu de court).
Alors que le soleil incandescent dévaste tout sur terre (Nicolas Cage y compris, quel sens du sacrifice pour un homme omniscient ! Des comme on n’en voit pas tous les jours.), les deux enfants se retrouvent sur une planète en couleurs pastel surnaturelles, avec une légère brise qui agite leurs cheveux, courant dans la prairie en riant, ayant oublié leurs respectifs père et mère morts pour eux. Ah, l’inconscience de l’enfance (ou celle du cinéaste).
Comme film « facile », on fait vraiment mieux !
FB