Littérature – Dylan THOMAS : Portrait de l’artiste en jeune chien (1947)

Je trouve  cette photo superbe

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Dylan Marlais Thomas est un écrivain gallois à la courte vie (1914-1953), surtout connu pour sa poésie (que je n’ai pas lue) et pour ses errances alcooliques ; existence fulgurante et suicidaire, en dépit d’une apparence répondant aux conventions (un mariage et trois enfants). C’est un homme noir, brillant et mal dans sa vie, à l’instar d’Arthur Rimbaud, par exemple.

L’ouvrage par lequel je l’ai rencontré est un recueil de nouvelles au très joli titre, dans lequel il nous conte des épisodes sûrement issues de son enfance puis de son adolescence. J’ai plutôt été saisie par les premiers, lorsque les héros ont entre huit et quinze ans, en vacances chez un grand-père ou en expédition entre copains.

Il n’est pas facile de repenser son enfance, non pas de la décrire de l’extérieur, mais de s’y couler à nouveau dans toutes les sensations et tous les sentiments qu’elle a engendré, surtout à trente ans passés. Et pourtant c’est ce tour de force que réalise l’écrivain, restituer cet enfant puis ce jeune adulte de telle manière que nous sentons combien il le porte toujours en lui.

C’est un récit net et neutre, l’auteur évite les pièges de la nostalgie et arrive à abolir la distance chronologique : nous ne sommes pas devant une enfance racontée par un homme adulte, tout se passe comme si un jeune garçon empruntait le vocabulaire d’un homme pour parler de lui-même, à sa hauteur.

Le monde qu’il habite se teinte alors de menaces et merveilles. Dans cette lande rude du Pays de Galles, des démons peuvent surgir de la nuit, de même que des princesses, les oncles ou grands-pères prennent des allures épiques et presque fantastiques, quittant leur statut de paysans versés sur la boisson pour devenir des héros formidables. Et les enfants promènent leurs loisirs simples, fronde, caillou, course, bagarre au milieu de cet univers trop grand pour eux. Ces pages sur l’enfance sont d’une authenticité et d’une délicatesse extrêmes, portées par une langue pleine de jolies surprises (nous sentons l’âme poétique de l’auteur, sans cesse).

Lorsque l’enfant grandit pour laisser place à l’adolescent, l’image du monde qui l’entoure se fait plus nette et conforme à celle que nous connaissons. Subsiste cependant l’émerveillement persistant face aux personnes rencontrées et aux situations vécues. L’auteur restitue ici autre chose, l’impression de tous les possibles qui s’offrent aux jeunes gens dans une nouveauté rutilante et inviolée. Voyages entre amis, comme une épopée en forme de découverte d’une terre inconnue, émois amoureux plus ou moins réussis…

Dans tous ces récits, les adultes sont des médiateurs entre la jeunesse et le monde. Très subtilement, Dylan Thomas montre comment l’enfant/adolescent n’est jamais seul, même s’il croit souvent s’échapper de la filiation humaine dans laquelle il est inscrit. C’est une histoire générationnelle qu’il nous conte là, le chemin vers la maturité s’inscrivant forcément dans la confrontation aux adultes et à leur vie. Ce n’est d’ailleurs qu’en acceptant cela que l’auteur parvient à restituer si bien la spécificité de ce jeune âge et c’est également parce qu’il continue à porter en lui l’enfant qu’il était que tout est si réussi.

L’écriture, comme souligné plus haut, est vraiment prenante, organisant au travers de phrases très concrètes, des envolées lyriques sans emphase d’une grande beauté. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément », disait Nicolas Boileau au XVIIe siècle, et nous avons envie d’appliquer ici cette citation, tant le style émane naturellement des images du récit, ce qui lui donne cette force et donne à l’oeuvre cette osmose globale, qui en fait quelque chose d’unique.

A lire absolument.

Et puis, hommage au poète.

N’étant que des hommes

N’étant que des hommes, nous marchions dans les arbres
Effrayés, abandonnant nos syllabes à leur douceur
De peur d’éveiller les freux,
De peur d’arriver
sans bruit dans un monde d’ailes et de cris.

Enfants nous nous serions penchés
Pour attraper les freux endormis, sans briser de brindilles,
Et après une douce ascension,
Élevant nos têtes au-dessus des branches
Nous nous serions émerveillés des étoiles inaltérables.

Loin de la confusion, telle est la voie
Tel est le prodige que l’homme sait
Loin du chaos parviendrait la joie.

Cela est la beauté, disions-nous,
Enfants émerveillés par les étoiles,
Cela est le but, cela est le terme.

N’étant que des hommes, nous marchions dans les arbres.

FB