Littérature – Howard Phillips LOVECRAFT (1890-1937)

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Cthulhu

Cthulhu

Voilà un écrivain bien étrange… Américain et profondément ancré dans les traditions européennes, il a inventé une mythologie entière, à l’instar de J.R.R. Tolkien mais du « côté obscur de la force » aurions-nous envie de dire. Le monde qu’il nous donne à voir est tout entier tourné vers la démonologie, les forces maléfiques qui selon lui nous cernent dans notre monde.

J’avais lu cet auteur très jeune et j’avais été saisie par le côté fermé et oppressant de l’oeuvre, presque circulaire, constitué de références se répondant les unes aux autres, ce qui finit par lui donner un air de véracité épouvantable ; je viens de relire un livre de nouvelles et, l’âge aidant, ma terreur est restée à un niveau très acceptable ;-), ce qui m’a permis de saisir toute l’originalité de ces écrits.

Dans sa représentation du monde, l’écrivain nous montre un être humain insignifiant au vu des entités démoniaques qui l’entourent, la plus symbolique d’entre elles étant Cthulhu, monstre absolu qui domine la cosmogonie lovecraftienne. Cette entité ancestrale, peut-être venue d’une autre galaxie, empoisonne la nature et l’esprit des hommes, les remettant à leur vraie place d’êtres et choses périssables. Voici à ce propos deux citations éclairantes de l’auteur :

« […] notre race humaine n’est qu’un incident trivial dans l’histoire de la création : l’humanité est peut être une erreur, une excroissance anormale, une maladie du système de la Nature ».

« Ce qui est, à mon sens, pure miséricorde en ce monde, c’est l’incapacité de l’esprit humain à mettre en corrélation ce qu’il renferme. Nous vivons sur une île de placide ignorance, au sein des noirs océans de l’infini, et nous n’avons pas été destinés à de longs voyages. Les sciences, dont chacune tend dans une direction particulière, ne nous ont pas fait trop de mal jusqu’à présent ; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons : alors cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyions cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d’un nouvel âge de ténèbres. »

Et effectivement, sa manière principale est d’imaginer des hommes qui ont découvert des choses qu’ils ne devaient pas voir et en deviennent fous. Il ne faut pas sous-estimer le contexte chronologique, l’écrivain vivant à une époque de fortes avancées scientifiques, dans une euphorie qui tend à essayer d’interpréter et de comprendre l’ensemble de l’univers ; à cet égard, sont éclairantes les scènes où des artefacts ou événements mystérieux sont soumis à des scientifiques pour décryptage, toujours sans succès, comme si l’auteur voulait nous signifier l’irréductibilité de ce qui nous entoure, convoquant un nouveau panthéon, au moment même où les religions commencent à vaciller devant l’avancée du Positivisme.

Le mythe est construit sur des fondements solides, histoire qui se répond de récit en récit, langage méphitique. A l’instar de J.R.R. Tolkien, Lovecraft possède ce don rare de créer une langue évocatrice, ici du Mal, là où Tolkien créait une langue belle et ronde pour les Elfes, aiguë et râpeuse pour les Nains. En voici un exemple :

« Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn » (Dans sa demeure de R’lyeh la morte, Cthulhu rêve et attend)

Nous notons aussi le caractère allitératif des noms de démons inventés par Lovecraft (Nyarlathotep, Azathoth, Yog-Sothoth, Shub-Niggurath,…) avec ceux des démons de nos religions (Baalzephon, Behemot, Belzebuth, Succor-Benoth,…), ce qui renforce la crédibilité de l’ensemble.

Traversent également l’œuvre un certain nombre d’artefacts, pierres gravées de mauvais augure, objets luisants de manière anormale et autres. Il faut parmi eux en citer un majeur dans l’univers construit par l’écrivain, le « Necronomicon », pseudo-ouvrage qui aurait été écrit au VIIIe siècle par Abdul Al-Hazred et qui suscite nombre de remous littéraires dans son sillage. Œuvre fictive, il va prendre vie sous des formes différentes tout au long du XXe siècle et jusqu’à notre époque. Alors que Lovecraft, qui l’a abondamment cité dans ses nouvelles, n’en donne que des bribes, certains fans ont conçu le projet de l’écrire réellement et il en existe plusieurs versions !

C’est donc tout un monde que l’auteur tisse nouvelle après nouvelle, empli d’un univers, le plus souvent souterrain, qui grouille sous les pieds des humains, méditant leur destruction. Ce qui déclenche le plus souvent le sentiment d’horreur est le minimalisme des descriptions des entités maléfiques ; le plus souvent, Lovecraft évoque les effets de leur passage, sur la nature ou les hommes, mais laisse planer le doute sur leur apparence. Et nous pouvons être terrifiés. Ajoutons à cela une langue d’une grande tenue et un sens tout à fait abouti pour faire monter la tension page après page, et nous sommes en face d’ouvrages vraiment horrifiants, car laissant place à l’imagination de chacun (nous sommes presque soulagés quand surgit – rarement – une vraie description d’un monstre !). Je recommande par exemple la lecture de la nouvelle « La couleur tombée du ciel », véritable chef d’œuvre.

Cette œuvre, tout à fait à part, a laissé une descendance particulièrement prégnante, à l’instar d’Edgar Allan Poe tant dans la littérature (pêle-mêle, Stephen King, José Luis Borges et Michel Houellebecq), que dans le cinéma (John Carpenter ou Sam Raimi par exemple) et dans la musique (saviez-vous que Metalicca, groupe de heavy metal américain a composé un opus intitulé « The call of Ktulu » ?). Il faut surtout souligner l’importance de son œuvre dans les jeux de rôle, puis les jeux vidéo, où nombre d’opus s’inspirent directement ou indirectement de son œuvre.

C’est un grand maître de l’horreur auquel nous avons à faire ici, et je dirai même plus (comme les Dupont 😉 ) à un très grand écrivain, capable de développer une œuvre tout à fait particulière, qui rayonne depuis sans faillir.

Et puis, pour finir, voici une perle rare, « The call of Ktulu », d’après Metallica, repris par le Warsaw guitar Orchestra ; ce qui s’inscrit parfaitement dans ce mélange de cultures et d’influences…

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