Cinéma – Léa FAZER : Maestro (2014)

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Un petit film jubilatoire et profond, un peu incongru dans sa délicatesse, perdu au cœur de cet été (qui n’en est pas vraiment un sur le plan climatologique, mais nous sommes bien dans la période creuse sur le plan cinématographique), qui se déguste comme ces friandises à couches multiples. Car, loin d’être linéaire, il se modifie peu à peu et prend d’autres visages au fil de son récit.

Cela commence comme un film de copains, un peu potaches. Henri et son ami Nicoballon [sic] sont deux adolescents attardés, vivant au jour le jour de blagues, de spaghettis au fromage et de blockbusters américains. Le rêve d’Henri est d’ailleurs de tourner dans « Fast and furious », film américain d’action s’il en est. Une de ses meilleures amies, Pauline, comédienne, le met en relation avec Cédric Rovere, metteur en scène minimaliste et érudit, qui le choisit pour jouer dans son nouveau film autour de ‘L’Astrée » d’Honoré d’Urfé (1). Et voici le premier propos du film, opposer, de manière assez drôle et sans appuyer, deux cultures différentes ; d’un côté celle qui domine notre monde actuel, films d’action et jeux vidéo et de l’autre, celle des livres exigeants, poésie et théatre au premier plan, et du détachement.

Henri rencontre, grâce à Pauline, Gloria (jouée par Deborah François, remarquée dans « Populaire » de Régis Roinsard en 2012), dont il tombe amoureux, se mettant ainsi en rivalité avec son amie Pauline, qui a elle aussi un coup de cœur pour cette jolie jeune fille blonde. Ici, la deuxième ligne de force, une histoire sentimentale qui va se développer dans le cours du film.

Vient ensuite la description du tournage , dans des paysages agrestes de la Creuse, qui voit le tiraillement d’Henri entre les deux mondes, celui de l’adolescence qu’il quitte peu à peu et celui de l’âge adulte, passant de l’action à la réflexion. C’est un basculement subtil qu’opère ici la cinéaste, car nous trouvons au départ risible ce projet de film bâti autour d’un écrit suranné et d’un gourou du cinéma d’auteur confidentiel, adulé par une poignée d’acteurs et techniciens, qui se démènent pour faire ses quatre volontés sans aucun budget (nous sommes bien loin de l’objectif de gain financier des films dont rêve Henri…). Et peu à peu, ce sont les téléphones portables, les tracteurs, les lunettes de soleil qui apparaissent incongrus dans cette simplicité paysanne. C’est un véritable tour de force de l’auteur, qui amène ce renversement avec maintes nuances telles que nous ne voyons pas vraiment à quel moment il a lieu Elle veille notamment à ne pas opposer les deux cultures frontalement (témoin la scène réjouissante où Henri explique à Cédric l’emploi du mot « kiffer », ce dernier concluant à la subtilité de ce verbe) et construit un choc acidulé et aérien entre les deux. C’est un film initiatique à sa manière, qui montre le mûrissement d’Henri au contact de ce monde si différent du sien. Pris en amitié par le metteur en scène, il va grandir et s’ouvrir à d’autres choses ; la nature et la poésie, par exemple.

Nous voyons peu à peu la complexité s’installer au centre de ce que nous pensions une œuvre simple (histoire d’amour, parcours initiatique), notamment par la mise en abyme, un peu à la manière de François Truffaut dans « La nuit américaine », d’un film qui a pour objet le tournage d’un autre film. Le trouble s’installe entre la troupe des acteurs et les personnages qu’ils jouent, trouble porté principalement sur la confusion des sentiments. « L’Astrée » a pour sujet principal les amours et désamours d’une troupe de bergers de de bergères, comme un marivaudage avant la lettre. Et les acteurs se laissent entraîner dans le roman ; ainsi, Henri, qui a la suite de plusieurs incidents, se retrouve le soupirant attitré de Gloria dans le film ; ainsi également José, homosexuel, amené à se déguiser en femme pour les besoins de son rôle. Comme si l’esprit du roman finissait par envahir l’équipe de tournage, se met à flotter sur elle un parfum de liberté amoureuse et de réjouissance.

Et enfin, nous comprenons qu’il s’agit d’une œuvre en hommage à Eric Rohmer ; pour ceux qui ont vu son dernier opus « Les amours d’Astrée et de Céladon », le lien se fait rapidement, d’autant plus que le metteur en scène porte le nom allitératif de Cédric Rovere ; pour les autres, la dédicace finale est explicite, adressée par Léa Frazer à Eric Rohmer et au comédien Jocelyn Quivrin, héros de son dernier film et qu’elle a fait également pour sa part tourner plusieurs fois, décédé la même année que le cinéaste. Et cela est d’une grande émotion.

Au milieu de tout cela, Michael Lonsdale, impérial, qui interprète avec une subtilité et une sincérité incroyables ce personnage de metteur en scène rêveur et détaché, amoureux de la beauté. Il installe peu à peu sa carrure dans l’histoire pour en devenir le centre.

Citons également la discrète et fabuleuse Dominique Reymond, que l’on ne voit pas assez à mon goût sur les écrans. Avec sa voix grave et sa diction inimitables, elle campe l’assistante de Michael Lonsdale avec brio. Et bien sûr, Pio Marmaï, acteur à suivre.

Merci Mme Frazer pour nous avoir donné ce joli opus qui, à défaut de vrai soleil, nous aura mis de la lumière dans le cœur.

FB

(1) Roman pastoral du XVIIe siècle.