Exposition : Le mythe Cléopâtre (Pinacothèque de Paris, 2014)

Depuis une dizaine d’années, la Pinacothèque de Paris, premier musée privé de la capitale, s’est fait une place dans le paysage des expositions temporaires, avec comme spécialité des mises en perspective pas forcément évidentes en première approche (Jackson Pollock et le chamanisme, en 2008 ou Vincent Van Gogh et Hiroshige, estampiste japonais en 2012, par exemple). Avec un bonheur inégal, certes, mais toujours avec une envie de confronter les concepts.

Je suis allée voir le dernier opus de l’institution « Le mythe Cléopâtre » (malgré l’horrible affiche ; je l’ai mise en incipit pour que vous soyez témoins…). Le propos est de montrer comment cette reine d’Egypte a transcendé les siècles et avec quelle image. Tout commence fort bien, par des cartons très documentés, nous exposant ce que l’on sait de la vie tumultueuse de cette héroïne, dernière reine de la lignée des Ptolémée, dynastie issue de Macédoine, qui règne sur le pays depuis 323 av. J.C. Mariée d’abord à son jeune frère Ptolémée XIII, elle sera la maîtresse de Jules César, dont elle aura un fils, Césarion, puis de Marc-Antoine, père de ses trois autres enfants (entre temps elle aura épousé son frère Ptolémée XIV). Elle finira par se suicider en 30 av. J.C. après la défaite de Marc-Antoine face au futur empereur Auguste, et sa mort. Femme amoureuse ou intrigante ambitieuse ? Elle va traverser le temps revêtue successivement de ces deux images. D’abord vilipendée sous les Romains (Lucain, Pline l’Ancien), sauf par Plutarque, qui la voit plutôt en amante au destin tragique, elle garde cette réputation sulfureuse de courtisane dévoyée pendant tout le Moyen-Age (notamment sous la plume de Boccace) jusqu’à la redécouverte des textes de Plutarque au XVIe siècle. Elle rejoint alors le panthéon des héroïnes de tragédie, notamment immortalisée en littérature par Shakespeare (Antoine et Cléopätre, 1623) et en musique par Georg Friedrich Haendel (Giulio Cesare in Egitto, 1723). Notre mythologie moderne en retiendra trois autre figures emblématiques, celle de Sarah Bernhardt dans la pièce de Shakespeare, celle d’Elizabeth Taylor dans le film de Joseph L. Mankiewicz en 1963 et la Cléopâtre de Goscinny et Uderzo dans les aventures d’Astérix le Gaulois. Enfin, nous ne manquerons pas de citer, sans être, j’espère, accusée de cuistrerie 😉 la célèbre phrase de Blaise Pascal « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la Terre aurait changé« .

L’exposition est organisée en deux parties distinctes. La première nous présente des objets égyptiens en illustration à la vie de la reine, la deuxième s’intéresse à l’évolution de son image dans le temps.

Nous retrouvons la « patte » de la Pinacothèque, exposer des objets de très grande qualité ou dénicher des collections particulières magnifiques – depuis l’origine, cela semble être un de ses objectifs pour s’imposer et attirer les visiteurs. Les pièces présentées sont en effet superbes, telle cette momie de chat issue des collections du Vatican, ces têtes de reines hellénisantes, ces improbables assiettes en verre, ces toiles italiennes des XVIe/XVIIIe siècle, d’artistes parfois inconnus mais pleins de talent. Nous comprenons notamment le mélange si particulier d’art d’influences grecque et égyptienne qui se crée à l’époque Ptolémaïque, et c’est surprenant. Je citerai à ce propos les noms donnés par la reine à ses trois derniers enfants, Cléopâtre/Séléné, Alexandre/Hélios et Ptolémée/Philadelphe, qui montrent à eux seuls l’interpénétration des deux cultures.

 Et pourtant tout cela se révèle à la longue assez approximatif. En premier lieu, un hiatus se crée d’emblée entre la visée didactique des explications d’introduction et les cartons qui suivent. Pour la plupart réduits à leur plus simple expression, ils vous laissent deviner tout seul, comme un grand, à quoi correspond un trapezophore, une Isis lactans, un oenochoe, un sistre ou une pixyde. Savez-vous ce que veut dire « hathorique » ? Et bien moi non plus ! (en fait il s’agit d’un objet en relation à la déesse égyptienne Hathor, merci internet). En première lecture, nous pensons à ce fossé infranchissable que certains conservateurs de musée et commissaires d’exposition essaient de creuser avec le public : d’accord, nous allons exposer nos oeuvres, mais nous allons faire en sorte que vous n’y compreniez pas grand chose, car c’est notre savoir et vous n’en êtes pas dignes. Après réflexion, et réunion d’autres indices concordants, je pense plutôt que nous sommes devant une démonstration purement esthétique, sous un alibi de cheminement historique. Ainsi, dans la première partie de l’exposition, les oeuvres sont historiquement mélangées. La plupart sont de l’époque Ptolémaïque, mais d’autres, antérieures ou postérieures, font irruption sans lien autre avec le reste que leur beauté. Et dans la deuxième partie cela devient patent : que vient faire une photographie de l’actrice Theda Bara au milieu de peintures du XVIIe siècle italien illustrant la mort de Cléopâtre ?

Le propos qui semblait si construit s’effiloche au fur et à mesure du cheminement, presque tristement, aurais-je envie d’ajouter. Nous espérions tellement mieux. La deuxième partie, consacrée à l’aura de l’héroïne au travers des siècles est plus que décevante. Nous en retiendrons la trilogie citée plus haut, Sarah Bernhardt, Elizabeth Taylor et la Cléopâtre d’Astérix, mais c’est un peu court. Rien sur « Cesar and Cleopatra » de George Bernard Shaw, « Anthony and Cleopatra » du compositeur Samuel Barber ou sur « Cléopâtre », film de Cecil B. De Mille, réalisé avec Claudette Colbert en 1934. Nous ne parlerons même pas du personnage de la série « Rome », apparemment inconnue. Pour une exposition qui affiche une telle ambition, c’est un peu dommage.

Bref, si vous voulez économiser 12,50 €, vous avez un motif tout trouvé (avec 0,50 € de plus, vous pourrez voir au Grand Palais les fabuleuses vidéos de Bill Viola, que j’ai chroniqué sur mon blog).

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