Wes Anderson est un réalisateur américain finalement pas si américain que cela. A l’instar de Tim Burton, il installe peu à peu un univers bien à lui au travers de ses films. En moins de dix longs métrages (sans compter les courts métrages), il a développé une esthétique particulière qui lui est propre, faite d’un univers loufoque en général très coloré, où les personnages rappellent un peu les stars des années cinquante en Technicolor.
Les films de Wes Anderson, c’est aussi l’occasion de revoir la même formidable famille d’acteurs. Bill Muray, Owen Wilson, Adrien Brody, Edward Norton, Jason Schwartzman, que nous retrouvons ici, font partie des fidèles (pour les actrices, nous notons qu’il est plus volage, Natalie Portman, Frances Mac Dormand, Anjelica Huston, Gwyneth Palthrow et ici la fascinante Tilda Swinton, déjà présente dans l’opus précédent « Moonrise Kingdom »).
Un nouveau venu, Ralph Fiennes, mène le bal dans cet opus. Concierge de l’hôtel de luxe, il se retrouve, flanqué de Zéro Moustafa, son « Lobby boy » et acolyte, au centre d’une intrigue policière autour de l’héritage d’une riche femme âgée, ce qui va l’amener à se lancer dans moultes aventures trépidantes et cocasses.
The Grand Budapest Hotel est un film rêveur, au sens où il incarne dans l’ensemble de ses dimensions un rêve d’enfant devenu réalité. En cela, il ressemble à l’oeuvre de Tim Burton ; mais là où le second nous transporte volontiers dans un cauchemar, Wes Anderson nous ouvre la porte vers un monde onirique gai comme un gâteau plein de pâte d’amandes rose et de crème. Cette tendance, amorcée dans ses films précédents, prend ici toute son ampleur, et nous imaginons aisément le réalisateur, excité comme un gamin, en train d’architecturer cet ensemble. Tout est un petit peu trop. Mise en scène subtile, en forme de poupées gigognes, révélant l’une après l’autre leur strate chronologique de l’histoire. Couleurs saturées, soulignées par la lumière presque surnaturelle qui entoure l’ensemble. Costumes pensés jusqu’au moindre bouton pour avoir exactement le rendu recherché. Décors travaillés dans leurs détails les plus infimes pour être exactement dans la note (j’ai pensé fortement aux travestissements commis par la paire « Plonk & Replonk », qui repensent, avec un sens de l’absurde certain, d’anciennes cartes postales, les dotant parfois de couleurs acides et surprenantes). Acteurs cabotins qui s’en donnent à coeur joie dans cet univers excessif. Ainsi, pour citer quelques exemples, Harvey Keitel est plus vrai que nature en taulard taiseux, plein de bon sens et à qui on ne la fait pas. Wilhem Dafoe est impeccable en homme de main, accessoirisé pour l’occasion d’un manteau en cuir et d’une moto fort seyants tous les deux. Et, bien sûr, Ralph Fiennes, que nous apprécions beaucoup, est tout à fait à sa place comme concierge de l’hôtel, un peu veule, fanfaron au grand coeur et plein d’astuce.
C’est un ensemble très cohérent qui nous est offert ici. Tout est au diapason, rien ne dépasse, dans un désir de perfection qui embarque toutes les dimensions du film, lumière, jeu des acteurs, costumes, intrigue et mise en scène. Et cela finit par faire procédé en soi. Parfois jusqu’à la caricature. Ainsi des détails que je juge inutiles : la tache de vin en forme d’Italie que porte Agatha sur le visage (Saoirse Ronan – pour ceux qui l’auraient vu, excellente dans « Lovely bones » de Peter Jackson en 2009), la fausse moustache du lobby boy,… Et bien d’autres notations anecdotiques qui n’ajoutent rien et alourdissent le film.
De là vient sans doute l’impression de léger ennui que nous ressentons face à cette oeuvre fermée sur elle-même, qui se complaît dans sa supposée perfection et finit par ne plus laisser de place au spectateur. Aucune empathie n’est possible avec les protagonistes, tellement enserrés dans leur rôle/décor/costume. Nous regardons un bel objet, accompli du point de vue de son metteur en scène, mais qui tourne un peu à vide.
J’avais adoré « Moonlight paradise » (voir article sur ce blog), car en plus de toute l’inventivité extraordinaire de ce metteur en scène qui sait créer des atmosphères décalées et originales, ce film instillait une grande émotion avec ce couple adolescent incongru.
J’espère que Wes Anderson saura nous redonner des opus de ce type sans tomber dans le travers de Tim Burton, dont nous avons l’impression que le budget des films, en croissance, pèse d’autant sur l’idée de départ, comme si la forme finissait par se substituer au fond (une de mes antiennes, je vous l’accorde).
Wes Anderson, reviens, on t’aime !
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